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tanislas Réveillère est expert en plan social, un ponte du dégraissage d’effectif qui embellit les cours de Bourse, une sommité dans l’art de jeter les salariés comme des kleenex. Romain Piquionne est en quelque sorte son disciple. « Rien n’est si contagieux que l’exemple » disait La Rochefoucault. Contagieux jusqu’à la nausée ?
Une épaisse couche de sentiments commence comme un docu-fiction, genre à la mode, qui plonge les mains dans les arcanes fangeuses de la gestion des ressources humaines façon « coupeurs de têtes ». Pas de place pour les scrupules, l’objectif doit être atteint, point final. L’exercice du licenciement se révèle alors très technique. Les méthodes existent, on ajoute quelques ficelles de vieux routier bonnes à savoir, un peu de métier (scène mémorable de répétition à domicile avec le conjoint dans le rôle de la victime), et le tour est joué. On est formé à ça, on se prépare à ça. Eux face à ça ils sont vulnérables, pris de court, désarmés, déjà partis.
Il y avait la place pour de la causticité, de l’humour noir, et même si le ton est celui de l'historiette et non du reportage, probablement aussi pour une dose de faits tout droit sortis des coulisses de la vie – et des mises à mort – dans les grands groupes . Et, sans s’élever au rang de satire sociale, on y a droit, un peu. Avant que le récit ne sombre, sur le mode de l’arroseur arrosé, dans une sorte de fable mélo qui prend des airs de grosse ficelle scénaristique tant elle est prévisible. Au final, il serait exagéré de dire qu’on a appris grand-chose de plus que ce que la presse nous livre régulièrement. Pourtant le récit bénéficiait d’une fluidité efficace et d’un graphisme sobre et économe en effets, si ce n’est une tendance à plaquer sur les visages des fragments d’ombres qui finissent par lasser tant elle est systématique. Le léger sursaut final (plus que coup de théâtre en tant que tel) ne changera rien, l'intérêt risque d'avoir démissionné de son propre chef au milieu de l'album.
Une épaisse couche de sentiment est une bd qui pastiche le monde des DRH des entreprises. On y découvre des êtres dénués de tout sentiment humain qui s'amusent à licencier le plus de monde possible pour faire plaisir aux actionnaires.
Est-ce que cela reflète la réalité des DRH des sociétés en général ? C'est un peu facile de leur attribuer le mauvais rôle avec une telle dose de mauvaise foi entre méchanceté et immoralité. Souvent, ceux qui sont recrutés pour effectuer ce travail délicat sont justement dotés de qualités humaines irréprochables. Pour autant, force est de constater que la réalité dépasse souvent la fiction...
Certes, ils embauchent et ils licencient pour des motifs valables. De nos jours, l'arsenal législatif à travers le Code du Travail est plutôt contraignant pour les entreprises. Bien sûr, il y aura toujours l'exception qui confirme la règle et des brebis galeuses ici et là.
Le monde inhumain des ressources humaines est assez bien retranscrit. Il y a effectivement une épaisse couche de sentiments. On fait croire qu'on est sensible à l'autre mais en réalité , on ne regarde que sa propre carrière pour progresser. On tire à vue avec du sang sur les mains. Cependant, le milieu est feutré et tout est dans l'art du langage et des justifications stériles.
Le portrait de l'entreprise est caricatural et manichéen. Cependant, il s'agit pour les auteurs de faire passer un message même s'il est cruel. Il sera entendu.
Voilà un bon one shot bien caustic où les personnages n'ont rien pour les sauver. L'histoire est plutôt bien développée et le propos, bien qu'exagéré, est bien rendu. On rentre bien dans l'histoire et au final l'album se lit très facilement.