2047 : cela fait douze ans qu’une gigantesque crise climatique a provoqué l’Effondrement de la civilisation industrielle. Ce phénomène fait désormais partie de l’Histoire et est entré dans le programme scolaire. Un manuel a été conçu pour enseigner aux jeunes générations les grands moments qui ont jalonné l’investissement de leurs prédécesseurs dans la lutte pour la démocratie, la liberté, l’éducation et en faveur du climat. Et tout ne commence pas avec Athènes, Charlemagne, Mai 68 ou Greta Thunberg.
Quoi de mieux qu’un manuel pour véhiculer et inculquer une certaine vision du monde ? Emanuelle Dufour (C’est le Québec qui est né dans mon pays !) et Francis Dupuis-Deri ont pris le pari d’offrir un pastiche de ces « bons vieux » livres de référence utilisés dans l’enseignement afin de dresser un historique des rébellions de collégiens et lycéens, nombreuses au XXe siècle. Le ton et les idées collent parfaitement à la ligne d’Écoédition, maison canadienne engagée qui publie cette BD-documentaire.
La forme correspond en tous points à un manuel scolaire ordinaire. Un avant-propos éclaire sur le contexte de sa création en l’An 12 après l’Effondrement ; les lecteurs apprécieront le calendrier et la datation qui les placent d’emblée dans ce futur potentiel. Puis le corps s’articule autour de quatre grandes parties, découpées en petits chapitres et abordant chacune un grand thème : « Expériences démocratiques », « La démocratie à l’école », « La grève à l’école », et La mobilisation pour le climat ». Le programme est clair, les leçons également. Un chapeau informatif est complété par divers documents dûment légendés (photos, illustrations, coupures de journaux, etc.). Quelques cartes ou schémas s’y ajoutent pour mieux visualiser. Le bédéphile goûtera particulièrement les infographies « Comment débutait une grève dans une école de l’Avant » et « Comment débutait une grève pour le climat dans le de l’Avant ». Des rubriques viennent compléter le propos (« Savais-tu ? », « Mots-clés ») et quelques exercices (mots croisés, problème, création de slogans) - avec leurs corrigés - agrémentent les chapitres. La liste complète des références n’est pas oubliée. L’ensemble bénéficie d’un design rétro de bon aloi, plutôt plaisant. Grâce à un choix de couleurs limité et franc (bleu, rouge, blanc et vert), chaque partie possède son identité propre.
Didactique, le fond se révèle résolument militant, si bien que, çà et là, quelques lignes simplifiant à l’extrême feront hausser les sourcils ou seront susceptibles de créer un malaise. Politiquement marqué, voire manquant un peu de recul, le propos n’exclut nullement la critique des modèles connus. Ainsi, sur la démocratie et le principe de consultation, l’ouvrage rappelle que la Grèce antique et Athènes n’en sont pas les seules « mères » et que se réunir pour discuter des sujets importants pour une communauté se faisait aussi sous d’autres latitudes. Indéniablement, en fustigeant - à raison - l’européocentrisme et en donnant des exemples variés provenant de tous les continents (en mettant notamment l’accent sur les Premières Nations), les auteurs servent un pluri-culturalisme qui mérite d’être reconnu et défendu. Tous les aspects abordés en valent la peine et le regard porté sur les combats pour la représentativité de tous et toutes, contre les discriminations raciales, pour l’accès à l’éducation se révèlent essentiels. Des notions comme l’adultisme et l’extractivisme interpellent. Avec cela, le texte invite à se questionner sur ce que les humains d’aujourd’hui - enfants, adolescent, adultes, seniors – pourraient envisager de transmettre à celles et ceux qui viendront après eux. Que restera-t-il demain des actions actuelles ? Comment seront-elles racontées ?
Original dans sa forme, vivement engagé dans son propos, Quand les élèves se révoltaient. Manuel d'histoire avant l'Effondrement ose poser un regard acéré sur les fondements de notre société et sur l'investissement des jeunes citoyen·es dans la lutte pour leurs droits, leur représentation et l'avenir de la planète. Car, non, après eux, ce ne sera pas le Déluge. À lire en conservant son esprit critique.
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