"À Bois-Corbeau, lorsqu'une maison se trouve hantée par un terrible spectre, on fait appel à une exorciste. Mais lorsque le spectre s'avère peu menaçant... c'est moi qu'on appelle." C'est ainsi que commence, l'histoire d'un dandy, accompagné par le fantôme de sa grand-mère. Il propose ses services afin de permettre aux âmes égarées de trouver le chemin du salut et de la paix. Usant de son "œil-de-mort" et de psychologie, Dorian obtient des résultats très satisfaisants. Quand un fossoyeur lui demande de l'aide pour sa fille Lucy, le jeune homme ne sait pas encore qu'il mettra sa vie en péril...
S'appuyant sur une croyance confinant au mystique et à l'ésotérisme, Johanna Taylor bâtit un scénario autour d'un héros ayant le don de faire passer les défunts dans l'au-delà. Cette capacité extra-sensorielle fait de lui un paria dans la société, c'est pourquoi Dorian doit aller de ville en ville afin d'éviter d'être lynché. Ce personnage principal est savamment construit afin de susciter le mystère et de captiver les lecteurs au fil des chapitres. Loin d'être placide et simpliste, il est sujet à de forts tourments qu'ils concernent sa mission comme sa vie privée. Il vit dans l'angoisse permanente de ne pas être à la hauteur des spectres à qui il vient en aide, mais aussi d'être rejeté en par la société en tant que passeur et en tant qu' homosexuel. Quoique rare dans un récit destiné à un public adolescent, sa complexité est plaisante à constater et dynamise le récit. De plus, l'autrice emprunte beaucoup aux histoires fantastiques du dix-neuvième siècle, qu'elle adoucit quelque peu afin de proposer une intrigue adaptée au lectorat-cible. Les lecteurs avisés y retrouvent des personnages et des allusions à l'univers d'Edgar Alan Poe. Ces emprunts façonnent le cadre d'une histoire bien ficelée, offrant des retournements de situation adroitement amenés.
Johanna Taylor propose aussi un autre niveau de lecture permettant de développer plusieurs thématiques. La première montre le deuil et son acceptation en s'appuyant sur les nombreux protagonistes qui ont besoin de l'aide du passeur. La scénariste en profite alors pour évoquer les différents stades du deuil et les traiter à la hauteur d'enfant, sans pathos. L'anxiété, le burn-out et la pression sociale sont également abordés. L'autrice traite aussi, pour ne pas dire surtout, de la différence et de la stigmatisation qui l'accompagne. Ce discours-ci dessus est assez contemporain, mais cela ne dénote pas dans l'espace temporel choisi pour cet album.
Le style graphique est proche de l'animation, ce qui rend le passeur d'âmes accessible pour de jeunes bédéphiles. La dessinatrice puise dans l'iconographie du fantastique pour les décors, les formes spectrales, les vêtement et l'urbanisme. Johanna Taylor s'affranchit allégrement du gaufrier pour jouer sur différents registres émotionnels. Par exemple, pour créer la mise en tension de Dorian quand il est en surmenage, elle multiplie les bulles bleues sans textes, les superposant de manière outrancière et les disposant partout, créant un effet d'étouffement. De même dans les scènes d'action avec les banshees, où les formes tentaculaires verdâtres génèrent une sensation d'oppression.
Oscillant entre le conte fantastique et le récit d'aventure, Le passeur d'âmes est un album jeunesse plaisant, qui réussit à faire frissonner et réfléchir les petits et les grands.
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