Hild

Épopée médiévale remontant au XIIIe siècle (voire plus), la Chanson des Nibelungen est un texte majeur de la culture germanique qui n’a cessé d’être repris et réinterprété, en bien et mal, au fil de l’Histoire. D’ailleurs, il n’y a pas besoin d’être Allemand pour connaître, ne serait-ce que de nom ou de réputation, Kriemhild, Siegfried, Brunehilde, Gunther ou Hagen. Il y est aussi question d’un anneau très puissant, une idée ayant certainement inspiré J.R.R. Tolkien. Comme tous les racontars venus de l’oralité, ses origines restent ouvertes à toutes les suppositions. Le lien avec la mythologie scandinave et les sagas islandaises est direct, mais d’autres spécialistes y voient une filiation avec certaines œuvres d’Ovide, le grand poète de l’ère romaine. Toujours est-il, qu'à l’image des mythes antiques, il s’agit d’un conte symbolique ouvert, plastique et aisément ré-appropriable par les nouvelles générations.

Veerle Hildebrandt n’a pas approché cette légende autrement pour réaliser Hild. Les grandes lignes et une bonne partie des protagonistes ont été conservées, ainsi que les destinées de chacun. La nouveauté et l’originalité se trouvent dans le de choix de «l’angle d’attaque» narratif. Époque oblige, exit les mâles alpha, à la place, ce sont les héroïnes qui concentrent l’attention. Hild, d’abord jeune fille, puis mariée de force, mère, veuve et remariée est une rebelle qui ose questionner le patriarcat. Quant à Brunelhilde, elle fait honneur à ses racines islandaises et à son statut de Walkyrie mangeuse d’hommes. Le message féministe est clair, limpide. Dans le même temps et c’est le point fort de cette adaptation, ces cris du cœur ô combien justifiés ne changeront rien au déroulement des évènements. Nullement adepte de la cancel culture, Veerle Hildebrandt ne réécrit pas le passé, bien au contraire. Utilisant le même cadre et en respectant les règles établies, elle offre juste un autre point de vue : celui du sexe faible, si souvent occulté et ignoré. L’impact du récit n’en est que plus fort et évocateur.

Visuellement, la mise en page ouverte et des couleurs totalement modernes cohabitent avec un découpage très posé et pensé. Quelques petites notes classiques (les arbres généalogiques, par exemple) s’invitent ici et là au fil des chapitres. Il en ressort un album à la fois dynamique et reposant sur des bases solides. Cette charpente fermement posée permet à la dessinatrice d’aller plus loin et d’oser des scènes choc et particulièrement violentes, nécessaires afin de souligner le sort réservé aux femmes d’hier et d’aujourd’hui. Pas de voyeurisme, seulement l’exposition frontale d’une horreur habituellement à peine évoquée. Là aussi, pas de leçon forcée ou de diktat politique, tous les éléments de réflexion contemporains sont simplement et naturellement intégrés à la trame générale. En résumé, l'album démontre implacablement comment les inégalités et les abus sont devenus des traditions par la force des choses.

Militant pratiquement par défaut, Hild est avant tout une épopée épique et dramatique, rassemblant les émotions et les sentiments indispensables aux grandes quêtes mêlant amour et pouvoir. Avec l’aisance et le talent des anciens troubadours, Veerle Hildebrandt fait revivre ces figures du Moyen-âge et les projette dans la psyché du XXIe siècle, sans perte mais pas sans fracas ! Une superbe lecture à faire partager d’urgence autour de soi.