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ous sommes en 1992 et l'Algérie plonge dans l'abîme.
La montée en puissance des groupes islamistes pousse le gouvernement vers une répression de plus en plus violente et aveugle. La dictature s'installe sous prétexte de protéger la population. En réalité, les deux camps imposent leur propre version de la terreur. Les arrestations arbitraires et les disparitions répondent aux attentats. Comment grandir dans ce monde perdu dans un conflit qui ne dit pas son nom ?
Salim, désormais adolescent. entre au lycée et rêve de drague et de dessins. Il voudrait s'habiller comme les personnages des séries télé. Il aspire à tout ce qui est normal pour un gamin de son âge. Il n'est pas facile d'être jeune à Alger. Une chape de plomb empêche toute relation légère entre filles et garçons. Entre la rigueur paternelle, le poids des traditions et la peur diffuse qui hante les rues, il faut naviguer à vue.
Dans ce deuxième et dernier volet de Rwama, Salim Zerrouki continue de raconter ses années d'apprentissage dans un pays en guerre. Il jongle toujours avec les interdits, évitant les représentations littérales pour préférer les métaphores. Les terroristes arborent des têtes de loup, alors que les forces de sécurité prennent l'apparence de hyènes. Les victimes y sont représentées sous forme de moutons, entretenant une forme de confusion entre le rituel de l'Aïd et les massacres perpétrés par les islamistes.
Quant à l'immeuble Rwama, il reste le symbole de ce monde qui tombe en pièces. Au fil des années, il se dégrade et se transforme progressivement en prison. Des barreaux sécurisent les fenêtres Des grilles sont installées pour délimiter des zones "sûres". Les abords sont progressivement négligés jusqu'à l'abandon. Comment mieux exprimer l'inéluctable aggravation de la situation générale ?
Une adolescence en Algérie permet de prendre la mesure de l'horreur d'une époque, traduite de manière indirecte, par exemple par le scan des risques potentiels que le jeune garçon effectue en permanence lorsqu'il quitte la protection de son foyer. Cette voiture est trop moderne pour être une voiture piégée. Par contre, ce passant est inconnu et son allure pourrait être celle d'un tueur... Il fallait composer avec cette paranoïa diffuse, même si la Cité Olympique, où il habite, est relativement épargnée par les attentats.
Grandir quand même, malgré une société algérienne rétrograde et frustrée, en dépit d'une peur sourde et omniprésente. L'auteur réussit à traduire cet étrange équilibre entre l'insouciance de la jeunesse et le chaos ambiant. Il compose une radiographie passionnante d'une époque qui reste mal connue. En effet, pour solder cette période, le président Abdelaziz Bouteflika a décrété un blackout sur ce qui est désormais identifié comme une "décennie noire", soit dix ans de massacres, d'emprisonnements arbitraires, de tortures... deux cents mille morts et disparus, un million et demi de personnes déplacées... effacés d'un coup de gomme. Ceux qui osent l'évoquer risquent la prison. Selim Zerrouki n'hésite pourtant pas un instant. Il assume d'utiliser le terme "guerre civile". Appeler les choses par leur nom est la première étape pour les comprendre, et éviter qu'elles se reproduisent.
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