Civilisations (Delcourt) 2. Égypte

V allée du Nil, il y a cinq millénaires. Depuis le règne de Narmer, la Haute et la Basse Égypte sont unifiées, ce qui ne veut pas dire que les tensions entre ces deux régions n’existent plus. Les différences culturelles et religieuses sont nombreuses et il ne manque pas d’ambitieux, caciques ou prêtres pour tenter d’accaparer le pouvoir, tant politique que spirituel. Djoser, le futur roi, devra batailler fort pour s’imposer et succéder à son père. Récemment arrivé à la cour, le jeune Im-Hotep se fait remarquer par sa sagesse et son intelligence. Ce dernier devient le conseiller et l’ami du nouveau souverain. Il lui propose des changements radicaux dans la société afin d’asseoir sa légitimé. Un panthéon renouvelé, une architecture en rupture et une nouvelle approche en médecine, rien que ça. Il ne le sait pas, mais son impact et son influence perdureront bien après sa mort et il finira même par être déifié et vénéré pendant les siècles à venir.

Après La Crète , Civilisations fait escale en Égypte, aux prémices de ce qui se révélera être la IIIe dynastie. À l’instar du premier tome de la série, il est question de changement d’époque et de bouleversements à la taille d’une nation. France Richemond a choisi le personnage d’Im-Hotep comme guide et révélateur de cette tranche d’Histoire finalement peu connue du grand public. D’ailleurs, autant le dire tout de suite, sauf pour les spécialistes du sujet, la lecture de l’ouvrage ne coule pas toujours de source. Si tout le monde a une idée plus ou moins caricaturale (merci Astérix) ou parcellaire (coucou Papyrus) des pharaons et de leurs pyramides, la nature de cette civilisation reste largement méconnue, surtout pour ce qui est de ses prémices. Peuplades aux noms étranges, déités inédites et toponymie élastique, les dialogues et les enjeux du scénario demeurent passablement nébuleux pendant une bonne partie de l’album (n’hésitez pas à potasser le dossier fourni). Heureusement, l’écriture précise de la scénariste et une dramatisation bien pensée permettent de s’accrocher aux branches de palmier. Merci et gloire à Imhotep ! En effet, la richesse et l’humanité du protagoniste principal et la manière dont il est présenté surplombe et sublime la narration. Même romancée, cette personnalité irradie et se révèle bel et bien être la star du show.

Classique, presque académique par moments, Giulia Pellegrini illustre ces évènements d’une façon énergique et sûre. Sa mise en page dynamique permet d’estomper un côté «belles illustrations» des livres scolaires qui paraît ici et là au fil du récit. Comme dans Crète, un souci particulier pour reconstituer le plus justement possible ces temps anciens domine. Cette ambition est à relever, mais impose parfois une certaine raideur ou un côté forcé aux compositions. Plus réussie et percutante, l’interpénétration du mysticisme avec le monde réel s’avère remarquable. Bêtes fantastiques nées des constellations prenant corps et combattant aux cotés des héros, les nombreuses scènes de bataille se montrent impressionnantes. Un dernier mot à propos de la très belle mise en couleurs qui confère aux planches des atmosphères pleines de ressenti.

Dense, sérieux, voire érudit, Égypte présente un pan peut-être moins connu d’une des civilisations les plus fascinantes de l’Histoire. France Richemond et Giulia Pellegrini font revivre ce passé lointain avec brio et une intensité de tous les instants. Rendez-vous à Rome pour le prochain tome de la série.