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e temps à temps, en fonction de son actualité, les médias braquent leurs antennes en direction du Liban. Ce pays longtemps hissé au rang de modèle au Proche-Orient est devenu depuis un État failli. Néanmoins, son histoire demeure mal connue en Occident, particulièrement chez son ancienne puissance mandataire, la France. Cet album y remédie par le biais de la biographie de Robert Sacy, un pédiatre qui est un parfait exemple de la résilience de la population libanaise, force qui dépasse l’entendement et qui explique le choix du titre de cette bande dessinée : Beyrouth malgré tout.
Le parcours de ce médecin illustre l’histoire contemporaine de son pays. Après avoir traversé la guerre civile (1975-1990), il souhaite soigner du mieux possible les enfants. La phase de reconstruction a poursuivi la descente aux enfers de la société, contaminée par la corruption de son élite et par la déliquescence de sa scène politique. Quand bien même M. Sacy s’accroche et lutte de toutes ses forces, s'appuyant sur la diaspora pour collecter des fonds nécessaires à l’équipement de son service. Son ministre de tutelle, inactif, n’en a cure et la terrible explosion du port de Beyrouth en 2020 n'y a rien changé. Passé un moment de dépit, Robert Sacy repart pour accomplir sa mission : soigner.
Avec la collection Témoins du monde, Steinkis choisit de faire découvrir aux lecteurs des personnalités extra-ordinaires (au sens premier du terme). Sophie Guignon et Chloé Domat, journalistes aguerries et correspondantes pour la presse française au Liban, connaissent leur sujet. Leur affection pour ce pays puise au-delà de la sphère professionnelle, puisqu’elles y résident et y ont construit leur vie affective et personnelle.
Après l'explosion du 4 aout 2020 qui a ravagé son hôpital, que les deux journalistes rencontrent le médecin. Rapidement, un lien se crée. Après un reportage pour Arte, les reporters décident avec Kamal Hakim de mettre en images le parcours du soignant. Le scénario bénéficie de l'expertise et du professionnalisme journalistiques, sans être complètement un reportage graphique, puisqu'il prend souvent la forme d'un road movie. À travers les discussions avec M. Sacy, les autrices mettent en lumière toute l'histoire contemporaine du Liban, par le prisme de la corruption, de l'occupation étrangère des États voisins, de la misère d'une partie de la population. Bien construit, chapitré chronologiquement, l'exposé apporte toutes les clefs de compréhension, de manière neutre et objective.
L'approche graphique de Kamal Hakim rend cette histoire accessible au plus grand nombre de bédéphiles. En effet, son trait, très BD ado-jeunesse, et sa mise en images optent pour une construction de planches aérée, misant sur un fond de cases légèrement colorisé en guise de décor, et des cases plus grandes permettant de mettre l'accent sur un témoin ou un lieu. Adepte du gaufrier, il parsème aussi l'album de pages explicatives contenant un seul dessin, souvent rehaussé par un choix de colorisation des plus judicieux. C'est le cas, par exemple, de la planche montrant la place des manifestations vide en mars 2020 à cause de la pandémie du Covid, ou lorsque sur une double page il représente la reconversion des chefs de milices de la guerre civile en hommes politiques sous la forme d'un jeu de l'oie. La dernière planche propose une photographie de l'hôpital en guise de décor pour un joli au revoir entre les personnages. L'utilisation parcimonieuse de l'humour permet d'atténuer quelque peu la gravité des faits pour un lectorat jeune, tout en faisant sourire celui des plus âgés.
Beyrouth malgré tout est un album poignant. À travers le parcours de Robert Sacy, décédé en mai 2024 et à qui l'album est dédié, les auteurs transcendent la biographie du pédiatre pour mieux faire connaître le Liban contemporain. À lire absolument.
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