1929. L’empire du Matin calme est sous le joug des Japonais qui le mettent en coupe réglée, mais il n’est curieusement pas question de cela ici, du moins, pas encore…
Après Le ciel pour conquête ou La Scelta di Pandora, Yudori revient avec Les Enfants de l'Empire. Bien que situés sous des latitudes éloignées et en des temporalité différentes, ces albums cultivent un même souci : celui de l’émancipation féminine.
Les apparences seraient-elles volontairement trompeuses ? Avec son dos « toilé », sa couverture rembordée, ses cahiers tout en épaisseur cousus de fil blanc et ses pages de garde en impression simili-marbre, cet album ressemble à un roman du début du siècle dernier. Ce faisant, Delcourt plonge son lectorat dans une ambiance surannée qui fait écho au récit imaginé par Yudori.
Situé dans la Corée des années 20, Les Enfants de l'Empire papillonne sur l’attractivité de la modernité dans un pays encore en marge de celle-ci, à travers l’histoire d’une lycéenne anticonformiste. Curieusement, la jeune auteure coréenne ne s’attarde pas sur la dureté du protectorat nippon, mais se concentre sur la destinée de deux adolescents que tout oppose et qui, à eux seuls, semblent devoir synthétiser l’ambivalence de l’époque sans toutefois les plonger dans ce qu’elle a de plus sombre. Graphiquement, la prestation, au numérique, de la mangaka est (très) réussie et sait donner une identité visuelle à son travail tout en féminité. Cependant, il convient de noter quelques facilités propres aux mangas qui viennent altérer la continuité graphique de l’ensemble. Coté scénario, Yudori ne bénéficie pas de l’aisance dont elle fait preuve en matière de dessin et elle se perd dans une forme d’insouciance à mille lieues des tensions que connaissait le pays et qui aurait donné quelque consistance à son récit. In fine, il est difficile de savoir où la jeune femme désire aller, et sa postface ne vient que partiellement éclairer les choses !
Shōjo « historique » mêlant chorégraphies vestimentaires et désir de liberté, ce premier volet de Les Enfants de l'Empire met finalement plus en avant son esthétique que de quelconques velléités historiques… ce que d'aucuns pourront déplorer !
Les prémices d'un futur chef-d’œuvre de la BD historique ?
Après le Ciel pour conquête, surprenante évocation de la « première mondialisation », Yudori revient avec une nouvelle BD, sur la Corée cette fois-ci. Autrice complète encore une fois, elle se lance ainsi dans un projet particulièrement ambitieux : mettre en BD la romance d'une lycéenne et d'un lycéen à Gyeongseong, le Séoul de l'entre-deux-guerres.
D'emblée, Yudori parvient à nous immerger dans l'histoire de son pays d'origine. Celle qui aurait pu parfaitement faire le métier de professeur, décrit avec justesse et simplicité de ton la vie quotidienne des personnages, mais aussi leurs aspirations, tiraillés par le respect des traditions, le désir d'émancipation, l'apprentissage de la vie et l'irrépressible évolution du monde... Page après page, elle dresse ainsi le décor d'une ville bouleversée par l'occupation japonaise et l'ouverture au monde occidental (notamment les USA).
Car, Yudori ne s'intéresse pas qu'à l'Histoire du genre et de l'intime (la rigueur de la documentation sur les habits est particulièrement saisissante), elle met aussi en lumière l'histoire de la mondialisation (c'est donc une constante), des échanges culturels, des relations sociales, des langues, des métissages...
Or, dans ce qui est aussi une créolisation de la BD, à la croisée de l'Asie (où elle est née), de l'Amérique (où elle a étudié) et de l'Europe (où elle vit)... Le texte s'efface au profit des images, qui apparaissent en transparence derrière les bulles... Comme pour nous dire en filigrane que, le plus important, c'est finalement de savoir lire les images, seul véritable langage universel.
En effet, le trait élégant de Yudori, si épuré, si léger, si clair, si charmant, flatte nos yeux et nous transporte dans un océan d'émotions, de sensualité... Où les corps sont autant une source d'attirance pour les hommes que pour les femmes. Certes, c'est un peu puéril parfois, puisqu'il s'agit de jeunes gens, d'une autre époque, d'un ailleurs... Néanmoins, je dois avouer que je me suis parfois identifié à ce jeune homme, si studieux, mais qui se laisse aussi un peu avoir par sa naïveté et ses fantasmes...
Comme pour le précédent album de Yudori, j'ai donc été délicatement emporté par le récit, aux allures de Shojo mais sans chichis... Or, Yudori a su garder de nombreux secrets, ne pas tout nous divulguer dès le premier tome, bien heureusement. La suite sera probablement plus intense...
Ma seule critique viserait la matérialité du livre et son faux dos toilé. Car, contrairement à d'autres, je l'ai payé en monnaie sonnante et trébuchante. J'ai aussi du mal avec certains visages de profil, sans nez. Néanmoins, je suis très satisfait de mon achat et de cette lecture positive, autant divertissante qu'érudite. J'ai d'ailleurs eu la chance de rencontrer cette jeune autrice ce week-end, qui n'a rien à envier à des auteurs masculins. Elle a du talent et son style se rapproche de celui de Jiro Taniguchi je trouve, tant dans la délicatesse de son trait que dans la langueur de certains passages, mais différemment pimenté... Je vous conseille donc vivement de lire ce tome et pour le ou les prochains...
J'ai déjà hâte !