« Juin 1929. J’ai 25 ans et je suis puceau. Sinon tout va bien ». À ce moment-là, Dali est à Paris. Il attend la gloire et les femmes, l’une devant faciliter l’accès aux autres. En attendant, il se bat avec ses fantasmes et contre les punaises de son logis. Il attend la sortie du Chien andalou, co-écrit avec Luis Buñuel. Il ne vient cependant pas à l’avant-première, à laquelle assistent Pablo Picasso et André Breton, préférant, sur un coup de tête, repartir en Espagne. À Cadaqués, il peint avec acharnement ses visions. Luis Buñuel, René Magritte et Paul Éluard l’y rejoignent. Ce dernier est accompagné de son épouse, Gala. Dali se souvient d’elle, plus précisément de Galouchka, croisée, à peine fréquentée, quelques années plus tôt. Buñuel est venu pour travailler avec son complice sur un nouveau projet cinématographique ; celui-ci est obnubilé par cette femme de dix ans son aînée. Luttant contre son désir, il tâche de se raisonner, de se convaincre qu’il ne doit pas s’attacher à qui que ce soit, qu’il est davantage amoureux des images et des formes que des êtres eux-mêmes, rien n’y fait. D’abord indifférente, Gala succombe aux charmes de la folie du jeune peintre ; elle le lui fait savoir mais attend qu’il s’exprime clairement lui-même. Il lui faudra être patiente.
Second tome de la biographie que Julie Birmant (scénario) et Clément Oubrerie (dessin) consacrent au marginal de Figueiras, après celle fort réussie de Picasso (Pablo, quatre volumes de 2012 à 2014), Dali – Gala reprend les événements à la suite de Dali – Avant Gala (2023). L'artiste a vingt-cinq ans, il commence à se faire un nom, expose de temps en temps et fréquente les Surréalistes. Mais son esprit est envahi de peurs et de fantasmes incontrôlables. Sa relation aux autres est faite d’impulsions et d’instabilité. L’homme est difficile à suivre. Il agace autant qu’il suscite l’admiration.
La série se poursuit avec le même soin et la même qualité. Elle croque un personnage atypique sans tomber dans l’excès ou la caricature ; elle rend parfaitement le bouillonnement artistique qui l’entoure, sans démonstration ni lourdeur. Plusieurs scènes d’anthologie ponctuent cet album, notamment l’interprétation à caractère sexuel de L’Angélus de Millet, qui vaudra au Catalan l’adoubement d’André Breton.
Graphiquement, Clément Oubrerie opte pour un subtil mélange de classique – qui garantit l’accessibilité de l’album – et d’audaces, comme l’exige le sujet traité. Ses personnages sont emplis de vie, Cadaqués et Montmartre dégagent des atmosphères opposées et prenantes, la première solaire et méditerranéenne, la seconde obscure et urbaine. Ponctuellement, les habitants étranges de l’imagination de Dali s’invitent dans les cases narratives, des citations de son œuvre s’imposent dans la réalité dépeinte, pour le meilleur effet. Entre précision historique et fantaisie maîtrisée, cette biographie tient ses promesses.
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