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loreana, archipel des Galápagos, 1929. Friedrich Ritter et Dore Strauch débarquent sur cette île déserte avec la volonté de s’y installer sur la longueur. Ancien médecin féru des écrits de Friedrich Nietzsche, il a tout abandonné et a l’objectif de mettre en pratique la théorie du Surhomme. Seul (mais accompagné de sa maîtresse qui s’occupe des tâches domestiques), il va pouvoir se révéler et accomplir sa destinée. Plus facile à dire qu’à faire, surtout que les conditions s’avèrent difficiles. Sans compter que leur expédition ayant fait les manchettes en Europe, ils sont rapidement rejoints par un autre couple, fuyant la montée du nazisme en Allemagne. Une cohabitation, assez anxiogène, se met malgré tout en place. Ce n'est que le début des ennuis puisqu'un autre équipage, haut en couleurs celui-là, apparaît à l’horizon. Demi-mondaine devenue baronne, Eloïse Wehrborn de Wagner Bosquet et ses compagnons ont l’intention de construire un hôtel de luxe et d’y inviter toute la jet set internationale ! L’atmosphère déjà lourde, va devenir irrespirable dans ce coin de paradis…
Ce résumé très succinct vous étonne peut-être de par son caractère burlesque et improbable ? C’est pourtant bel et bien une histoire vraie, documentée, dont il reste même un court-métrage filmé sur place en 1934 ! Ayant eu vent de cette anecdote incroyable par le bais d’un podcast, Michaël Olbrechts a immédiatement perçu tout son potentiel dramatique.
Le début du XXe siècle a été marqué par de nombreuses utopies sociales et philosophiques. Certains, plus extrêmes ou convaincus de l’importance de provoquer une rupture, tentèrent d’appliquer à la lettre des programmes de vie radicaux. Vingt ans auparavant, Fortuné Henry avait imaginé « la colonie initiale de l'humanité future » dans le Nord de la France (cf. L’essai de Nicolas Debon). Individualiste ne croyant pas à la force du collectif, Ritter a préféré la quasi-solitude pour sa remise en question existentielle. Deux cas très différents, dont les finalités respectives furent similaires et sans appel. Dans Galápagos, l’accent est particulièrement mis sur les rapports entre les personnages et l’impossible quête afin de s’échapper de la «normalité». Même exilés au bout du monde, ces héros volontaires sont irrémédiablement rattrapés par la société, le constat est plus que clair.
L’album suit chronologiquement les incidents qui émaillent le quotidien des deux premiers pionniers, puis du mini peuplement. La narration est ponctuée par le passage régulier d’un bateau ravitailleur et par de retours en arrière précisant le passé des acteurs en présence. Cette construction permet de donner petit-à-petit de la chair aux protagonistes, tout en maintenant un rythme soutenu. Le trait tout en douceur, qui fait parfois penser à celui de Tom Tirabosco en plus léger et des couleurs parfaitement posées soutiennent agréablement ce scénario à la tonalité tendue et souvent sombre.
Robinsonnade tragique sur fond d’exotisme et de philosophie, Galápagos est une lecture originale et passionnante mêlant aventure, psychologie et relations humaines exacerbées. Un récit rempli d’émotions et de questionnements fondamentaux à découvrir d’urgence.
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