« Voilà ma vengeance ».
Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, quatre ans, est repêché dans la Vologne, à Docelles, aux alentours de 21h15. Le lendemain, ses parents reçoivent une lettre revendiquant le crime. Quarante ans plus tard, l’affaire demeure non élucidée.
L’âge de la victime, une sur-mobilisation des médias, de multiples rebondissements et aucune condamnation. Voici, entre autres choses, les éléments qui font de l’affaire du petit Grégory (nom qui lui est rapidement attribué) le dossier criminel français ayant certainement fait couler le plus d’encre. Plusieurs livres, des centaines d’articles de presse, des milliers de flashs à la radio et à la télévision. Pour des raisons presque inexplicables, l’affaire fascine. Cet intérêt est par ailleurs bien alimenté par la vie du dossier lui-même (l’arrivée de nouvelles techniques scientifiques, une réouverture de l’enquête en 2008, de nouvelles mises en examen en 2017, etc.) et par les œuvres fictives ou documentaires qui s’y rapportent (en 2019, Netflix y consacrait une mini-série en cinq épisodes).
En voyant débarquer dans les bacs une bande dessinée sur le sujet (cela n’était pas encore arrivé), la question n’était donc pas de savoir ce qu’elle raconterait – l’histoire étant, avec plus ou moins de précision, connue de tous – mais plutôt ce qu’elle apporterait de nouveau. Un premier élément de réponse apparaît dès la couverture puisque le nom de Jean-Marie Villemin, le père de Grégory, y figure. La préface qu’il signe éclaire sur le projet et sur son rôle : contrairement à de nombreuses œuvres conçues sans son consentement, cette BD est faite non seulement avec son accord mais plus encore à son initiative (signant la sortie d’un silence de plus de vingt années). Cela transparait dans le déroulé de l’intrigue et notamment par le choix de Pat Perna (Shibumi, Kosmos, Valhalla Hotel) de prendre comme fil rouge de son récit le procès de 1993 (le père de Grégory comparaissait et a été condamné pour le meurtre de son cousin, Bernard Laroche). Les bédéphiles peuvent aussi avoir le sentiment d’une documentation abondante et de clés de lecture prises à la source. Il s’agit d’un apport appréciable car, au-delà de la mise en scène médiatique du (des ?) corbeau, un enchevêtrement de relations familiales tendues, faites de non-dits et d’aigreurs, éclaire toute l’affaire. L’angle retenu assume aussi ses partis pris : l’hypothèse de la responsabilité de Bernard Laroche dans le rapt, le poids de Jean-Michel Bezzina (journaliste de RTL) dans l’instrumentalisation de l’opinion publique et le cynisme de Jean-Michel Lambert, le premier juge d’instruction saisi (dont les erreurs ont pesé sur le déroulé de l’enquête) qui s’est suicidé en 2017. Surtout, une grande dignité s'impose.
À l’image de l’approche scénaristique, le dessin de Christophe Gaultier (Le cirque Aléatoire, Robinson Crusoé) est souvent touchant mais jamais larmoyant. Il n’était pas aisé de mettre en images un tel récit mais l’artiste y parvient parfaitement. Les planches sont efficaces et vont à l’essentiel, malgré quelques proportions un peu surprenantes (mais cela reste du détail). En dépit de nombreuses scènes à l’intérieur du tribunal, aucune monotonie ne s’installe grâce à d’habiles variations sur les cadrages. L’encrage légèrement charbonneux donne par ailleurs un côté vieilli à l’ensemble qui replace parfaitement le lecteur dans l’époque de l’action.
Première partie réussie pour ce projet prévu en deux tomes.
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