Archéologie de l'intime

L a parentalité représente probablement la plus belle aventure qu'il nous est donné de vivre. Tout commence par la grossesse. Cette dernière est généralement perçue comme un moment suspendu que quelques désagréments n'empêchent pas d'être considérée comme une période extra-ordinaire. Si les plaintes sur les nausées et l'inconfort sont tolérées, les pensées négatives ne sont que rarement évoquées au grand jour, comme s'il convenait de perpétuer l'image d'une expérience merveilleuse. Pourtant, tout le monde n'a pas vécu la même. Il arrive que ces neufs et quelques mois évoquent un mélange de doutes et de peurs. Il en est ainsi pour Clothilde. Tout avait pourtant bien commencé. Malgré un rapport compliqué avec son corps et une angoisse sur ce nouvel état, tout semble se dérouler sans accroc, même si la future maman n'est pas exactement enchantée, non pas de donner naissance à une petite fille, mais de sentir son physique lui échapper. Puis, tout se met à dérailler très vite.

Sidonie est désormais une ado tout ce qu'il y a de plus normale. Qui pourrait imaginer les difficultés qui ont émaillé sa conception ? Dès le début, le lecteur devine que la tragédie n'a été évitée que d'un battement de cil. Il est temps pour sa mère de replonger dans ses souvenirs et de se remémorer les événements qui ont failli mener au pire.

Archéologie de l'intime porte magnifiquement bien son titre. L'autrice se livre à un véritable travail d'exhumation de blessures intimes pour reconstituer un moment traumatique particulièrement intense. Au fil des pages et des réminiscences, Clothilde Delacroix relate l'angoisse, l'impuissance et les traumas qui l'ont marquée. Elle raconte la dépossession de son corps par les Médecins et l'inhumanité d'une institution qui traite les organes sans jamais tenir compte des individus. Elle reconstitue patiemment une histoire qui lui a été dérobée pour se réconcilier avec elle-même.

Il n'existe pas d'adjectif plus approprié que cathartique pour décrire cet ouvrage bouleversant et infiniment drôle, qui rappelle la verve et l'impertinence de Florence Dupré La Tour et Catherine Meurisse. L'imagerie très symbolique et les aquarelles lumineuses composent un récit apaisé, qui panse les blessures. Il y a dans cette démarche un écho au travail que réalise Clémentine Galey avec son excellent podcast Bliss, qui permet aux femmes de se livrer sur leur expérience de la maternité. Partager l'intime lui confère une portée universelle et réparatrice. C'est pour cette raison qu'un tel ouvrage est important.