F
rance, fin des années soixante-dix, début quatre-vingt. Alors que les horreurs de la guerre sont encore dans toutes les mémoires, particulièrement au sein de la communauté hébraïque, l’extrême droite commence à reprendre du poil de la bête. Un nouveau parti politique imaginé par quelques nostalgiques des années sombres est apparu. Dans les rues et les couloirs des facultés, bandes de jeunes aux crânes rasés et aux idées courtes tentent de faire la loi à coups de barres à mine. Face à eux, outre des gauchistes de tous les horizons, une certaine jeunesse juive veut en découdre. Ils sont les descendants directs de ceux qui ont affronté et subi le régime nazi ! Il est donc de leur devoir de réagir et de proposer une réponse ferme, pour l’honneur et en souvenir de ceux qui ne sont pas revenus des camps. C’est le cas de la famille Kravitz, de Frank, plus précisément. Celui-ci va s’engager dans l’Organisation Juive de Défense (OJD), un groupuscule de gros bras entraînés à la baston et prêts à tout. La violence appelant la violence, le jeune homme ne sait pas qu’il s’engage pour une lutte sans pitié qui va durer plus de dix ans.
David Rybojad et Éric Corbeyran se sont basés sur des faits réels pour écrire Le nom d’Amalek - Dix ans d'une guerre secrète au cœur de Paris. Roman familial, thriller sous haute tension et rappels historiques à propos d’une des facettes de l’antisémitisme, l’album plonge le lecteur dans un Paris pas si lointain, sombre et dangereux. À l’époque, l’engagement, peu importe son camp, était total et la frontière entre idéologie et action radicale était mince. Coups de force, coups de poings et castagne étaient la règle. Que faisait la police ? Disons, tant qu’il n’y avait pas de mort, elle regardait ailleurs. Les luttes de pouvoir à la tête de l’État étaient telles qu’une zone grise existait pour ceux qui voulaient régler leurs différences ou différends sur le pavé. Cette situation profitait autant à gauche qu’à droite de l’échiquier.
Ce cadre explosif sert d’écrin à un scénario implacable et sans concession. Les nombreux personnages, Frank et les siens en premier lieu, sont finement décrits, jusqu’au tréfonds de leurs âmes. Les anciens se rappellent de celles et ceux qui n’ont pas survécus, les jeunes tentent de recoller les morceaux et tous redoutent le pire, en permanence. La fin justifie tous les moyens et certains n’hésiteront pas à glisser vers l’illégalité pour financer leur cause. Le S.A.C de sinistre réputation (voir Cher pays de notre enfance) n’agissait pas différemment en fin de compte.
Froid, oppressant même, l’ouvrage baigne constamment dans une atmosphère irrespirable. Du noir, du gris et à peine du blanc, Nicolas Bègue illustre cette fable contemporaine avec rigueur et puissance. Trait réaliste solide, mise en page cinématographique, sa reconstitution de la Capitale est impressionnante de ressenti. Idem pour les protagonistes, dont les émotions et les doutes sont parfaitement rendus.
Gravité de tous les instants, précisions dans les portraits et la documentation, Le nom d’Amalek - Dix ans d'une guerre secrète au cœur de Paris peut paraître aride par moments. Heureusement, la qualité d’écriture et le découpage 100 % action rendent la lecture prenante, voire haletante. Un superbe morceau d’Histoire récente racontée tambour battant qui met à jour un des pans les moins reluisants de notre société. Une piqûre de rappel bienvenue.
Poster un avis sur cet album