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’aussi loin qu’elle se souvienne, Isabelle a toujours été attirée par ce qui se cache derrière la ligne d’horizon. Bretonne, elle a naïvement tenté d’embarquer vers le large durant ses études. Ça n’a pas marché, une question de compétence. Ensuite, elle a tâté de la randonnée. La marche au long cours, c’est bien, ça permet de réfléchir, mais ça ne va pas très vite, surtout quand l’ambition de la jeune femme est de traverser les continents. Comme l’avion ou les véhicules motorisés ne sont pas envisageables, il reste la bicyclette. La petite reine allie le côté effort solitaire et, avec un peu d’entraînement, les kilomètres défilent rapidement. C’est un bon compromis. Reste la destination, son héroïne étant Ella Maillard, c’est logiquement vers l’Orient et le Caucase que son regard se tourne. Très organisée, il lui faudra deux ans de préparation avant d’entamer son expédition. Même si les aléas de la pandémie de COVID vont venir tout compliquer à la dernière minute et que la fermeture des frontières va l’obliger à louvoyer vers l’Espagne, son périple débute enfin. De tout façon, il en faut plus pour l’effrayer (des ours peut-être ?), Isabel va s’accrocher, pédaler et pédaler encore. Quelques mois plus tard et une douzaine de pays traversés, Téhéran est en vue. Pas mal pour une fille qui n’avait jamais fait de vélo auparavant.
Travelogue dans les règles de l’art, Plouhéran – À vélo de la Bretagne à l’Iran rassemble également tous les éléments classiques du roman initiatique. Confrontation avec soi-même, chocs culturels, rencontres, moments de doute, de souffrance et d’euphorie, cette extraordinaire odyssée va changer Isabelle à jamais. Même si elle le pressentait depuis longtemps, cette dernière aura la confirmation de sa nature de bourlingueuse. Aller voir plus loin, découvrir les autres et des paysages nouveaux sont inscrits au cœur de son ADN, c’est indéniable. Et le danger, s’inquiète sa famille ? Les risques de se retrouver perdue, toute seule, sur les flancs d’une montagne pendant un orage ou, pire, dans un boui-boui entourée de camionneurs aux mines patibulaires ? Est-ce si différent que de rater le dernier métro et d’être obligée de rentrer à pied parce qu’il n’y a pas de taxi ? Il faut croire en sa bonne étoile et aller de l’avant, tout en gardant les yeux ouverts. Saint-Brieuc, Guéret, Skopje, Tbilissi ou Erevan, c’est pareil. Les innombrables gestes de générosité et de partage dont elle va bénéficier tout au long de sa route en sont les preuves les plus éloquentes.
Illustrations en noir et blanc, trait façon BD indépendante et un flot ininterrompu d’anecdotes, de discussions sur tout et rien, quelques références historico-littéraires, la narration se montre dense et généreuse. La dessinatrice ne recherche pas la précision la plus ultime, il ne s’agit pas d’un livre de photographie. Montrer un panorama, évoquer un sentiment ou une introspection, monter le bivouac et se souvenir d’une soirée heureuse en compagnie de «collègues» voyageurs embarqués dans la même galère sur les pentes d’un col sans fin, l’ouvrage se compose d’une multitude d’instantanés aux saveurs exotiques et révélatrices de la richesse du monde qui nous entoure.
Il y a ceux qui restent et qui sont heureux dans quelques kilomètres carrés et il y a les autres, ceux pour qui la surface de la planète est à explorer et à ressentir. Isabel Del Real fait clairement partie de cette deuxième équipe. Heureusement pour nous, elle revient de temps en temps à la maison et ses sacoches sont pleines d’histoires merveilleuses. Plouhéran – À vélo de la Bretagne à l’Iran est une de celles-ci.
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