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ienvenue à bord de l'Aboyeur. Ce navire de l'ONG Ocean Defender, arpente la mer au large des côtes du Nigeria à la recherche de chalutiers qui puisent, parfois sans retenue ni autorisation, une ressource naturelle locale. .
Maxime de Lisle, secrétaire général de Ocean Sustainability Foundation, a décidé de raconter ce qu'il a vu et vécu lors de son année à bord du Sea Sherped dans les mers africaines. Accompagné de Renan Coquin (dessins et couleurs), il s'appuie également sur les contributions de Camille Étienne et Baptiste Morizot pour narrer cette docu-fiction effarante et alarmante.
Le néo-scénariste choisit de scinder son histoire en deux temps pour couvrir tous les aspects de cette surpêche. Après une courte introduction qui pose le décor entre chantage et corruption, il s'intéresse au destin de Marius, pêcheur artisanal. Alors que ses filets, comme ceux de ces voisins et amis, sont de moins en moins remplis, le jeune homme n'a d'autre choix que de rallier un des chalutiers qui pillent leur mer. Ainsi contraint de laisser sa famille pour passer du côté de la pêche industrielle, il découvre les rythmes effrénés, la surveillance constante de l'équipage, le rendement à tout prix, les petits arrangements avec les lois et règlements... Une autre forme d'esclavage moderne qui exploite la misère humaine dans laquelle il plonge les habitants de ces côtes. Le message passe avec d'autant plus de force que le trait expressif du dessinateur rend avec force la dureté de ce travail.
La seconde partie du récit s’attache à montrer de l’intérieur les actions de l'ONG. En mettant au service des états qui le souhaitent leur flotte et leur expertise, ils forment une véritable patrouille qui sillonnent les flots en quête de fraudes ou d'abus. Confrontés à la mauvaise foi ou pire, la malhonnêteté des commandants mais aussi aux pirates qui arpentent les mers (autre conséquence de la pauvreté) les volontaires, étudiants, chercheurs, scientifiques s'allient aux forces de l'ordre locales pour essayer d'endiguer la pêche incontrôlée et irraisonnée. De plus, la préface de Baptiste Morizot et la postface de Camille Étienne ainsi que les pages d'infographie et autres schémas qui viennent ponctuer les séquences, illustre parfaitement l'ampleur de la tâche et des dégâts causés.
Si la plus-value de l'utilisation du medium reste trop peu visible pour convaincre pleinement, la mise en lumière d'une telle catastrophe est évidemment à saluer. Et il sera difficile, devant les chiffres-chocs et des informations alarmantes sur la pêche intensive et l'exploitation des ressources maritimes, de continuer à faire comme si « on ne savait pas ».
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17.000 chalutiers européens et chinois pillent les ressources marines du golf de Guinée pour alimenter la voracité des consommateurs occidentaux en saumon et thon. La mondialisation apparait dans toute sa concentration, créant de la misère, de l’insécurité, déracinant les familles et détruisant les écosystèmes. Le commandant d’un navire Sea Sheperds raconte cette réalité crue…
La riche collection Delcourt/Encrages voit arriver un nouveau documentaire percutant qui parvient à synthétiser en cent pages nombre de problématiques liées à la fuite en avant capitaliste. Le soucis de beaucoup d’albums docu est souvent de rester trop près de leur sujet en oubliant d’en extraire l’essence et de proposer des solutions. Nombre de photographies immédiates qui ont le mérite de révéler des horreurs mais qui nous laissent un peu sans ressources.
Ce n’est pas le cas de Pillages qui a d’abord le mérite d’être une vraie BD et l’intervention du semi-pro Renan Coquin étonne par sa maitrise du langage séquentiel. Avec une colorisation tradi variée et élégante, il crée des atmosphères crédibles en nous promenant sur la terre d’Afrique, sur les ponts rouillés des navires ou dans les rues de Paris. Déroulant le scénario fictif le dessinateur fait respirer ses pages en alternant le découpage, tantôt classique, tantôt en gaufrier muet et entrecoupe les séquences par des doubles-pages très didactiques où l’on revient sur les données chiffrées qui permettent de mieux appréhender le récit que nous venons de lire. L’expérience de l’artiste avec la Revue Dessinée se ressent et c’est un bon point.
Le narratif est écrit par un spécialiste qui évite de s’enferrer dans la technique de données empilées et nous raconte son histoire à hauteur d’hommes et de femmes, un pécheur contraint de trouver une solution à l’absence de poissons et une capitaine de navire qui collabore avec un gouvernement africain pour attraper les chalutiers clandestins ou simplement en infraction. Ces deux personnages aux deux bouts de la chaine structurent l’histoire et permettent de varier les thématiques sans se disperser. Nous découvrons ainsi que la quasi-totalité de la piraterie mondiale a migré de l’Océan indien vers le golfe de Guinée, que la corruption empêche les autorités de faire appliquer la loi et que l’Europe en alimentant la concurrence entre flottes de pêche joue du cynisme qu’on lui connait.
Pour qui s’intéresse aux migrations et aux questions environnementales les éléments apportés ne seront pas une grande révélation. Pourtant l’aisance avec laquelle les multiples problématiques sont mises en lien cohérent, que ce soit pas l’explication ou par l’image brute, montre un travail pédagogique remarquable. Rien n’est plus dur que d’expliquer simplement la complexité pour impliquer son lecteur en le considérant comme acteur et non comme consommateur. La post-face de Camille Etienne appuie ainsi le propos de l’album en nous rappelant que faute de respect démocratique des contestations, dans le capitalisme le consommateur a un pouvoir gigantesque, celui de ne pas consommer. Et après cette lecture vous retrouverez avec plaisir les petites en boite en consommation ponctuelle. C’est bien suffisant et vous serez heureux de lutter à votre échelle contre ces ogres qui tuent notre environnement.
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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2024/07/15/pillages/