L
e travail représente un élément fondamental de notre place dans la société. On lui prête des vertus d'éducation, de courage ou encore de réussite. Pourtant, sa perception est en train de changer. De plus en plus, des voix s'élèvent pour dénoncer les dérives et la déshumanisation qui le gangrènent. Surtout, une véritable remise en question de la place qu'il occupe au sein de la vie. Les générations précédentes reprochent aux nouvelles de ne plus vouloir bosser. La société a évolué. Les aspirations ont changé et ce qui semblait aller de soi n'est plus aussi évident. Dans les premières planches, un chauffeur de taxi regrette que son fils préfère privilégier sa vie de famille et voir sa fille grandir. Il confesse pourtant n'avoir pas été un père présent. Il partait travailler avant l'aube et rentrait tard le soir. Il fallait bien gagner sa croute. Il ne lui vient jamais à l'idée que ce déséquilibre entre sphères professionnelle et privée était complètement aberrant, que sa famille en a souffert et que son fil refuse de reproduire le même schéma.
Fabien Toulmé part à la rencontre de travailleurs du monde entier pour se confronter à différentes réalités. Chaque destination correspond à une problématique différente. Au Texas, l'auteur enquête sur le Big Quit, qui a vu des millions d'Américains démissionner suite à la crise du Covid. En Corée, il s'intéresse à l'exploitation poussée à l'extrême dans une société ultra-compétitive et en pleine uberisation. La pression constante depuis l'enfance, l'exhortation à se dépasser perpétuellement et la violence managériale sont telles qu'il existe en coréen un mot pour désigner la mort par surmenage : le gwarosa. Seul le Japon possède un terme équivalent : le karoshi. Enfin, aux Comores, il découvre l'action d'associations locales qui tentent de faire évoluer la filière de production d'huile d'Ylang. Cette matière première indispensable en parfumerie représente la principale richesse de l'île. La manière dont elle est produite est donc cruciale pour le développement économique et écologique. Des associations locales travaillent pour transformer la filière et la rendre plus respectueuse d'un point de vue environnemental et social.
Si chaque destination possède ses spécificités, certaines tendances persistent : le besoin de sens est omniprésent, mais mal reconnu, tandis que l'aliénation cause des souffrances terribles. La principale différence tient au pouvoir que les personnes possèdent sur leur destin. Austin, l'ancien banquier d'affaire, a pu tout lâcher pour se consacrer à la musique. En pleine pandémie, Margarita a quitté son travail de standardiste dans le réseau national de la prévention des suicides pour préserver sa santé mentale et parce que son salaire ne lui permettait pas de vivre décemment. Elle a alors décidé de reprendre des études de kinésithérapeute, parce qu'elle veut aider les gens, tout en travaillant comme serveuse pour financer son cursus. Seung Ju s'use dans les tournées sans fin pour Coupang, l'Amazon coréen, conscient qu'il ne pourra pas tenir le coup longtemps. Il n'a pourtant pas de plan B. Les cueilleuses d'Ylang ne sortiront pas de la misère endémique, mais elles peuvent s'épauler, se protéger et profiter de la solidarité.
Loin d'être libérateur, le travail asservit et abime. Entre les trois voyages que composent ce livre, l'auteur donne la parole à Dominique Méda, sociologue spécialisée dans le monde du travail. Celle-ci replace la problématique dans son contexte et apporte un éclairage historique. Elle tord également le cou à certaines idées reçues. À l'image du tome précédent, Fabien Toulmé dresse un panorama particulièrement intéressant d'un sujet complexe et pourtant tellement familier. Il joue à merveille le candide et le facilitateur pour permettre aux différents témoins de s'exprimer tout en conservant la fluidité dans le récit. Son dessin, simple et efficace, sert parfaitement son propos, plus axé sur le fond que la forme. Reflets du monde porte bien son titre. Cette série ne cherche pas à convaincre, mais à proposer des points de vue sur la société actuelle, rappelant que, si ce monde est global, il se compose d'une mosaïque de bulles locales qui sont confrontées à leur propres défis.
En guise de conclusion, l'auteur demandait à chaque intervenant ce qu'il ferait s'il gagnait plusieurs millions de dollars. Personne n'a répondu qu'il/elle cesserait de travailler, mais qu'il/elle le ferait différemment, privilégiant un métier qui ait du sens. Parce que les gens ne sont pas devenus des fainéants. Ils veulent et travailler et vivre.
Fabien Toulmé continue de mener l'enquête dans le Monde autour de divers thèmes. Ce tome 2 se penche sur le monde du travail. L'auteur se questionne notamment sur la place du travail dans notre société ou encore sur l'équilibre entre travail et vie perso.
Grâce à cette lecture, j'ai appris énormément de choses et j'ai également découvert que la vision du travail est multiple.
Dans cette BD, la question du bien être au travail est centrale. J'adore le style de Fabien Toulmé. On suit vraiment l'auteur et j'ai eu l'impression de suivre un reportage.
Le dessin du Bédéiste est toujours aussi efficace. J'adore son style notamment la façon dont il croque les personnages. J'aime aussi beaucoup sa façon d'utiliser les couleurs. Elles sont peu présentes mais accompagnent le propos subtilement. Un coup de ❤️.