V
ous l'entendez ? Derrière le bruit du vent, le ressac des vagues... ce murmure presque indistinct. Ces milliers de vies glissant sur les eaux de la Méditerranée. C'est à peine si vous les percevez. Pourtant, elles sont bien là, ballotées au gré des flots sur des esquifs de fortune. Parfois, ils sont avalés par les flots. Ils disparaissent à jamais ou leurs cadavres sont rejetés sur les plages. D'autres ont la chance d'être secourus par l'un des navires de sauvetage qui sillonnent les routes maritimes. L'Ocean Viking est l'un de ces bateaux qui tentent de venir en aide à ces naufragés. Hippolyte y a embarqué pour recueillir ce murmure.
Ce reportage dessiné se veut une mise en lumière de l'action de "SOS Méditerranée", dont le travail est sans cesse entravé par les États. La première partie de ce livre relate la longue période d'inactivité consécutive au Covid. Les autorités multipliaient alors les subterfuges pour bloquer les embarcations au port, utilisant des décisions absurdes et contradictoires, voire contraires au code maritime. Au fil des rencontres, l'auteur recueille les témoignages de volontaires qui expliquent leur engagement. Il expose également les actions menées par cette ONG. Dans un second temps, il rejoint l'équipage de l'Ocean Viking pour participer à une rotation. Il raconte l'organisation du bord, les règles précises pour l'accueil des rescapés et, surtout, les fameuses missions, lorsque les RHIB sont mis à l'eau, qui font la course pour essayer d'arriver avant les garde-côtes libyens et sauver un maximum de vies. Il parle également de ces instants suspendus où la beauté inattendue d'un vol de mouettes distrait un instant les bénévoles, comme une parenthèse enchantée qui permet de restaurer un équilibre avec l'horreur à laquelle ils sont confrontés.
Il est difficile de ne pas être bouleversé par ces séquences, d'autant qu'Hippolyte a judicieusement choisi d'incorporer quelques photographies dans ces planches. Le dessin ne parvient pas toujours à traduire la souffrance et la détresse des regards. Il lui est aussi impossible de capturer l'explosion de joie consécutive à l'annonce du débarquement. Sans jouer la carte du pathos ou du misérabilisme, l'artiste offre un constat frontal, profondément humain et empathique de ce scandale humanitaire. Il rappelle cette évidence. Les médias et les politiques parlent de "migrants", de "réfugiés", d'"exilés". Derrière ces mots auxquels des idéologues ont accolé un sens péjoratif se trouvent des êtres humains. Détourner les yeux ne change en rien la triste réalité. À l'abri de lois absurdes qui n'ont d'autres buts que de compliquer la tâche des sauveteurs, des hommes, des femmes et des enfants vivent l'enfer à nos portes et meurent faute d'assistance. Leurs dépouilles finissent par souiller nos plages. Est-ce la société que nous voulons ?
Et tout ça est financé quasi intégralement par les dons privés. L'excuse toute faite du "avec nos impôts" ne s'applique même pas.
Pour finir, Hippolyte s'efface face à un volontaire puis, dans une ultime séquence qui survient par surprise après un carnet de croquis, à l'instar d'une scène post-générique, à une jeune maman. Ils aboutissent à la même conclusion: "C'est beaucoup... et c'est rien". Si celui qui sauve une vie sauve l'humanité entière, qu'en est-il de ceux qui ferment les yeux ?
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