À la fin du 15è siècle, Vernoux, bourgade perdue de l’est de la France, survit difficilement, toujours menacée par une famine, l’irruption de meutes de loups ou un cataclysme dû aux forces obscures. Malgré tout, la vie quotidienne des habitants s’est organisée de manière simple et pragmatique. S’il échoit au curé de soigner les âmes et les consciences alourdies, il revient à la famille Percheval de soulager les corps. La mère et sa petite-fille Reine connaissent les pouvoirs des plantes et les ressources de la forêt. De cataplasmes en élixirs, elles sont sollicitées par toute la population pour soigner une fièvre ou faciliter un enfantement. Guérisseuses au fil des générations, leurs rites païens sont plébiscités par tous et toléré par le prêtre.
Reine se lie à Étienne Trollet, fils de fermier ayant appris à lire. Reprendre la ferme paternelle lui répugne, il aspire à une autre existence. Après le coup de poing de trop venu du père et une étreinte passionnée avec Reine, il quitte Vernoux pour rejoindre Genève, non sans avoir promis de revenir. En chemin, il fait la connaissance de Jehan Levigne, qui va lui ouvrir le monde de l’imprimerie et du pouvoir. Étienne va devenir en quelques années l’instrument lettré d’un Prince-Évêque qui, pour mieux asservir la population, va répandre, à coups de libelles et de récits illustrés, la menace perpétuelle du Malin. Tout ce qui est écrit par les doctes universitaires est vrai, la peur servira à gouverner. En achevant le Malleus Maleficarum, Étienne va diffuser les tables de la loi du Bien et du Mal. Les sorcières sont visées et Vernoux sera bientôt l’objet de toutes les attentions.
Virginie Greiner, scénariste de son état, qui a déjà frayé avec les sorcières et l’histoire (Sorcières, Les Reines de sang) et Annabel, dessinatrice, qui a réalisé Willow Place et Isabelle Eberhardt avec sa complice de L’Imprimerie du Diable, s’emparent à nouveau d’un sujet touchant à l’ostracisme des femmes, à l’obscurantisme, à la soif de pouvoir et au destin de petites gens pris au cœur de tempêtes qui les dépassent. Le pas de côté effectué par cet album fort réussi est de montrer que l’imprimerie, toute invention admirable et révolutionnaire qu’elle fut, si elle est déposée entre des mains manipulatrices et malfaisante, devient une arme plus redoutable qu’une armée de fantassins assoiffés de sang. La naïveté entretenue des simples, l’adhésion obtenue par la peur et la confusion entre le pouvoir politique et la conduite des fidèles font le terreau idéal de la désinformation et de la manipulation. Le sujet est ancien mais reste d’actualité. Virginie Greiner pose l’individu face à ses choix, à la hiérarchisation de ses valeurs et au duel endémique entre le cœur et la raison. Les amateurs du Nom de la rose, que ce soit le roman, le film, la série télévisée ou la bande dessinée, y retrouveront les débats qui en font la substance.
Pour illustrer ces tensions et controverses, Annabel déploie un graphisme élégant et réaliste, faisant la part belle au détail historique et à la rhétorique des visages. Sa maîtrise des regards insuffle une énergie stimulante. Elle donne vie et mouvement aux nombreuses scènes de dialogue, évitant ainsi l’écueil de la rigidité et de la répétition. Ce récit philosophique, empli de bonnes intentions, même s’il manque d’originalité, parfaitement mis en images, doit retenir votre attention estivale.
Au vu de la couverture et du titre, je m'attendais à une œuvre sur la création de l'imprimerie par Gutenberg. Or, ce n'est pas exactement le thème de cette BD. Comme quoi, on peut se faire de fausses idées dès le départ. Il faut lire une œuvre avant de pouvoir réellement se prononcer.
Le thème est plutôt celui du pouvoir qui utilise la peur pour manipuler les gens. Nous sommes à la fin de la féodalité et les différences sociales n'ont jamais été aussi grandes car les paysans qui produisent pourtant la richesse meurt de faim.
Pour éviter toute révolte, les princes vont utiliser l'imprimerie pour diffuser des idées contre les femmes en les accusant de sorcières. Elles finiront brûler sur un bûcher sur la place publique au vu de tous afin de montrer l'exemple.
C'est dans ce contexte assez particulier qu'on va avoir droit à une histoire d'amour entre une jeune guérisseuse et un jeune imprimeur qui a quitté sa condition de paysan pour se mettre au service du prince de Genève. Il va écrire un traité de démonologie qui va faire foi dans le milieu de l'Inquisition. C'est alors que va survenir le combat pour un véritable choc de valeurs. On se demande si l'amour peut en triompher.
Au-delà de cet aspect purement romanesque, c'est la question de l'utilisation des peurs par le pouvoir qui interroge. Il est vrai que le sujet demeure d'actualité avec les virus et les guerres qui se propagent. On a alors souvent besoin d'un pouvoir protecteur qui ne sert malheureusement que ses propres intérêts.
Malgré une fin un peu convenue, cette œuvre a le mérite de poser les bonnes questions et faire un bon constat. Cependant, il n'est pas certain qu'à l'époque, les gens avaient une telle clairvoyance. C'est toujours facile de juger par la suite. Un peu comme mon erreur de départ.