A
nzu rumine. Ni le déballage des cartons dans sa nouvelle maison, ni l’approche d’Obon, la fête des ancêtres, qu’elle aimait pourtant autrefois ne l’enthousiasment. Pire, ses origines japonaises complexent désormais l’adolescente. Se baladant aux abords d’une forêt pour se changer les idées, elle se sent irrésistiblement attirée vers une falaise. Elle y croise un chien qui arrache son pendentif avant de s’enfuir. En tentant de le rattraper, la jeune fille franchit la frontière invisible séparant le monde des humains de celui des morts, Yomi. Alors que le canidé chapardeur et gardien des lieux la supplie de partir au plus vite, Anzu est abordée par une femme splendide et mystérieuse. Le banquet auquel elle est conviée cache cependant maints périls.
Après Pilu des bois, Mai K. Nguyen propose une nouvelle histoire chez Kinaye. Mettant à profit ses racines à la fois vietnamiennes, japonaises et américaines, elle explore les légendes shintoïstes et le bouddhisme à travers un récit rappelant, entre autres, Le voyage de Chihiro d’Hayao Miyazaki, sans pour autant qu’il s’agisse d’un succédané malgré certaines similitudes.
La quête initiatique sous-tendant l’album s’ouvre de manière assez classique : l’héroïne, fragilisée, cherche à se libérer du poids qui la ronge et est propulsée dans un univers inconnu où elle va devoir faire ses preuves et s’accepter, ainsi que son héritage nippon, si elle veut s’en tirer. De la galerie riche et variée de yokaïs et de kamis, se détachent l’allié, de circonstance puis ami, incarné par Limbo, le chien-gardien, et Izanami, l’antagoniste inquiétante et cruelle. L’un aide, bon an mal an, tandis que l’autre précipite l’action, multipliant directement ou non les obstacles à franchir, les choix et les sacrifices à effectuer. Fluide, la narration navigue ainsi au fil des péripéties diverses, donnant à découvrir les moindres recoins de Yomi, d’en soupeser les relations entre les habitants, d’en apprécier l’originalité et d’en évaluer les dangers. Quelques retours en arrière montrant Anzu et sa défunte grand-mère font office de fil rattachant l’adolescente à la vie et à ses racines. Le dénouement apporte les réponses et l’issue attendue à ce premier tome auto-conclusif.
La mise en image de cette aventure se révèle fort agréable. Le trait rond de l’artiste possède une belle expressivité, soulignant les états d’âme et les émotions des personnages. Le découpage et la composition des planches sont dynamiques, offrant des angles de vue variés, tandis que certaines cases accrochent l’œil par leurs nombreux détails. Par ailleurs, bien que les couleurs paraissent ternes de prime abord, le choix d’une nuance brun-violacé, sur laquelle se détachent les teintes vertes, orange, blanches et grises, fonctionne plutôt bien et contribue à instaurer une atmosphère d’outre-tombe. Enfin, une présentation des créatures rencontrées et un glossaire permettent d’en apprendre davantage.
Ce premier tome auto-conclusif de Anzu et le royaume des ténèbres s’avère une lecture plaisante et dépaysante. Une lucarne ouverte sur le folklore japonais qu’apprécieront les jeunes curieux et curieuses.
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