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n septembre 1872, arrivant de sa Provence natale, Germain Nouveau déambule dans Paris. Tâtant le pinceau et la plume, il découvre le microcosme artistique de la capitale où bruisse une rumeur scandaleuse. Le poète Verlaine a mis les voiles dans le sillage du jeune Rimbaud, son amant ; direction l’Angleterre, puis la Belgique. Un drame plus tard, le premier est en prison, cherchant le réconfort dans la foi ; le second est détourné de ses ruminations et de son insatisfaction par Germain qui se propose de noter les vers qu’il sème dans ses errances parisiennes. Le Provençal en est certain : les fulgurances qu’il couche fidèlement sur le papier subjugueront ceux qui les liront. Encore faut-il qu’Arthur accepte qu’elles soient publiées… Aspirations, séparations, retrouvailles présideront à leur destinée.
Pareils à des esquifs, oscillant sur un pont, trois hommes émergent d’un brouillard gris aux sous-tons verts. Ivres… d’absinthe et d’art ; ce sont les « illuminés » du titre, que le bédéphile un peu connaisseur en littérature reconnaîtra. Ou du moins deux d’entre eux : les « maudits », Paul Verlaine (1844-1896) et Arthur Rimbaud (1854-1891). Le troisième n’en est pas moins important, malgré une postérité moins glorieuse : Germain Nouveau (1851-1920). Laurent-Frédéric Bollée et Jean Dytar le tirent de l’ombre en s’intéressant aux parcours croisés de ces trois personnages et à l’œuvre qui les lie : Illuminations, un recueil de poèmes en prose rimbaldiens composé entre 1872 et 1875. Le résultat prend la forme d’un album polyphonique porté par les talents conjugués et largement maîtrisés du duo d’auteurs.
Le récit suit la chronologie des événements. Il balade entre la Ville Lumière, Londres, Bruxelles, Stuttgart et jusqu’en Abyssinie ; il entraîne dans des bars, des ruelles, des chambres miteuses, une cellule de prison. Au fil des mois et des rencontres, les protagonistes se rapprochent, vont en paire, parfois seuls, ou s’éloignent. Ce faisant, l’histoire explore leurs relations (Verlaine-Rimbaud, Rimbaud-Nouveau, Verlaine-Nouveau), leur attachement mutuel, la passion qui les animent, les blessures qu’ils s’infligent, les doutes qui les rongent. Les dialogues mettent également en avant leur rapport respectif à l’art poétique, la mise en mots, l’élan du verbe. Les vers de chacun se glissent dans le propos, harmonieusement.
Graphiquement, la partition se révèle saisissante. La mise en image de la choralité et le passage d’une période à l’autre passe par une succession de séquences d’une douzaine de planches. Celles-ci sont découpées en deux parties, parfois trois, dans laquelle les personnages évoluent. Chaque bande possède sa gamme chromatique ; cela permet à fois au lecteur de se repérer, mais aussi d’apporter une certaine tonalité, une atmosphère particulière. Des doubles pages ponctuent chaque saut temporel de quelques mois. Elles transportent devant la cathédrale d’Aix-en-Provence, par une matinée noyée de lumière. Alors que le temps semble concentré dans les passages plus long, il paraît, ici s’égrener avec une lenteur extrême, s’étirant jusqu’aux dernières planches montrant un Germain Nouveau âgé.
Formidable plongée dans les destins mêlés de trois artistes et l’émergence d’une œuvre, Les Illuminés est une bande dessinée des plus réussies. Une exposition lui sera consacrée cet été à Charleville-Mézières, berceau de Rimbaud.
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Jean Dytar est un de mes auteurs favoris que je suis avec attention. Chacune de ses œuvres relève une facette de plus de son immense talent.
Qui sont ces illuminés comme l'indique le titre ? Il s'agit de 3 poètes parmi les plus prestigieux du XIXème siècle : Arthur Rimbaud, Paul Verlaine et Germain Nouveau.
Encore une fois, la démonstration de ce récit est menée de façon assez magistrale. On aura du plaisir à suivre des trois parcours de poètes maudits qui se croisent et qui se cherchent avec des dénouements divers. On connaît évidemment la passion amoureuse et charnelle qu'on eut Rimbaud et Verlaine. Cependant, on connaît un peu moins le personnage de Germain Nouveau qui passe de l’admiration à l'imposture.
Une œuvre dont le thème est la puissance du pouvoir de création littéraire et artistique. Il faut beaucoup de passion derrière pour l’émergence de l’œuvre ultime qui marquera les esprits sur plusieurs générations.
Il y a véritablement du génie dans la construction car on verra l’émergence d'un puissant lien entre des personnages qui ne se sont jamais rencontrés tous ensemble. En cela, la couverture peut paraître assez trompeuse. Et pourtant !
J'avoue que j'ai dû reprendre ma lecture depuis le début afin de suivre séparément le déroulé de ces trois histoires qui s'entrechoquent. Lire de manière linéaire et normal mène droit dans l'impasse de l'incompréhension. Bref, il faudra s'adapter.
Le graphisme va concourir à cette logique en trois temps par des couleurs différentes au ton sépia selon le personnage évoqué. J'adore ce flou des images qui donnent dans le réalisme à la manière de peinture impressionniste retraçant le Paris du XIXème siècle. C'est réellement somptueux et à contempler avec un certain plaisir !
Au final, la trame générale sur ces poètes maudits est respectée et on est vraiment dans l'ambiance de l'époque. Pour le reste, il faudra faire preuve d'audace.
Une belle BD à offrir....
...qui raconte le destin mêlé de trois poètes français : Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Germain Nouveau. Cela m’a rappelé mes cours de français... et donné envie de me relancer dans des recueils de poésie.
Et quel bonheur de découvrir une BD, admirablement scénarisée et illustrée sur ce thème. Dès la couverture, on est plongé dans un monde de soiffards et de marginaux, qui nous saisit, nous remue... puis nous berce par la riche sonorité de ses poèmes.
Les dialogues sont très convaincants et j’ai apprécié ces « scènes polyphoniques », qui m’ont rappelé la narration en miroir de François Ayroles. J'ai cependant été un peu heurté par les traits de certains personnages : le visage de Germain Nouveau manque de relief et d’expressivité à mon sens, contrairement aux deux autres. Mais l’ensemble reste extraordinairement lisible et j’ai pu m’égarer dans certaines cases, comme cette scène qui sort de l’ordinaire à la fin de la page 110, où Rimbaud semble se noyer dans sa cabine. Surtout, pour un récit qui se déroule dans les années 1870, le style impressionniste de l’œuvre fait sens. Il y a d’ailleurs un certain nombre de références à Cézanne.
A lire et à partager.
Un très beau récit excellemment bien illustré, en plus il raconte le parcours d'un des plus beau recueil de poésie française: les illuminations
C'est à la fois pédagogique, beau et très bien rythmé.
Une recommandation ceux qui seraient tentés par ce livre sans bien connaitre les poésies, la fin de l'album donne les poésies références.
J'ai acheté ce livre les yeux fermés, pour le dessinateur. En effet j'ai toute confiance en Jean Dytar: la qualité du récit, le choix graphique, l'ambiance qu'il arrive à créer. Là encore ma confiance aveugle a été justifiée.
Arthur Rimbaud fait partie des auteurs qui ont largement influencé ma vie. Dès le collège, sa poésie m’a laissé entrevoir une autre vision du monde, faite de création, de solitude et de liberté, qui s’est avérée être le meilleur rempart qui soit contre tout esprit pusillanime et trop terre à terre. Il reste pour moi l’incarnation ultime du génie ; sa définition même. Son destin incompréhensible (abandon total de la poésie pour une vie hasardeuse de trafiquant d’armes en Afrique) participant également à sa légende.
« Les illuminés » met en lumière cette singularité, ce renversement entre le maître absolu de la littérature qu’il était et le dégoût rampant que son art, sa propre vie ou ses semblables lui inspirèrent au fil du temps. On y découvre les poètes Germain Nouveau et Paul Verlaine, les deux plus proches compagnons de Rimbaud, être tour à tour terrassés, jaloux, hypnotisés, effrayés presque, par la puissance de ses mots. Impuissants à le sauver de lui-même, ils vivront dans son ombre, comme hantés par son insaisissable fantôme.
Laurent Frédéric Bollée retrace 14 années de leurs parcours respectifs dans des narrations parallèles et complémentaires. On peut suivre chacun des trois poètes aux mêmes moments mais dans différents lieux, grâce aux tonalités que les pinceaux de Jean Dytar attribuent à chacun d’eux. Procédé brillamment exploité qui permet de les identifier immédiatement en rendant chaque planche parfaitement lisible. Qui permet surtout de comprendre leurs trajectoires croisées, leurs divergences et leurs aspirations.
Le dessin enfiévré de Dytar dépeint tellement bien l’époque, les portraits, le thème, qu’il en est arrivé à me déconcentrer ! Je me trouvais parfois de longues minutes dans l’incapacité de poursuivre ma lecture, ébloui que j’étais par cette beauté.
C’est très personnel mais les auteurs ont réussi à réveiller l’adoration que j’avais porté à Rimbaud dans mes jeunes années. Un album qui m’a laissé au cœur une étrange mélancolie doublée d’une furieuse envie de faire des vers, de vivre, tout simplement.
Quant à cette couverture ! De loin la plus belle de l’année à mes yeux. Ah ! que n’aurais-je donné pour croiser, une nuit de brouillard, ces illuminés sur ce pont et trinquer avec eux…
Attention, je ne recommanderais toutefois pas cet album - pour magnifique qu’il soit - à quelqu’un qui ne connaitrait ni ces personnages ni leurs œuvres ; il aurait toutes les chances de passer à côté.