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ne aïeule obligée d’entrer en institution, un appartement rempli de souvenirs à vider, avec, inévitablement, des questions qui surgissent. C’est ce qui est arrivé à Bianca Schaalburg quand sa grand-mère a été obligée d’intégrer une maison de retraite. Cette situation est partagée par des milliers, si ce n'est par des millions de familles. Petit détail géographique et historique cependant : Bianca et les siens, les Shott et les Rathung, sont Berlinois, des Allemands. Et ceux qui sont en train de s'éteindre aujourd'hui s'avèrent être les derniers acteurs volontaires, involontaires ou forcés de deux des plus grands traumatismes du XXe siècle : le nazisme et la Shoah.
Le «nous ne savions rien» répété ad nauseam comme un totem par certains se révèle évidemment un peu court, surtout que les premières informations tirées de vieux papiers indiquent que tel oncle ou grand-père ont été adhérents au NDSAP, et ce dès les années 20. Sans compter ces trois pavés de bronze installés juste devant l’immeuble familial dans le cadre du projet mémoriel créé par Gunter Deming afin de rappeler les victimes des terribles lois raciales du Troisième Reich. Ceux-ci prouvent que le clan a profité du système. Qui sont et que sont devenus Carla Hipp, Darl Lowensohn et Magarethe Silberman après leur expulsion ? Et quel a été le rôle exact de papi quand il était détaché à Riga, au moment des pires exécutions de masse ? Et comment se sont-ils reconstruits après la guerre ? Et moi, dans tout ça ? Face à cette accumulation d’interrogations, Bianca décide de mener une enquête minutieuse, pour en avoir le cœur net.
Travail de mémoire et quête sur ses origines, L’odeur des pins – Ma famille et ses secrets est un album total, foisonnant et immersif. De l’architecture de la capitale allemande aux chants des oiseaux, du bonheur de la vie de famille aux pires instants de la Deuxième Guerre mondiale, Bianca Schaalburg ne laisse rien de côté. Pour comprendre, il faut absolument colliger tous les éléments, même les plus triviaux. L’heure est grave, ces tantes, cousins et cousines, elle les aime, c’est indéniable, mais sont-ils des monstres ? Par son long travail de recherche, l’autrice met en lumière les blessures héritées de ces années sombres. Impossible d’avancer sans connaître son passé. Le but n’est pas de juger (l’affaire a été réglée à Nuremberg en 1946), mais de simplement de savoir.
Il en résulte une longue et riche mosaïque dans laquelle les époques se croisent et s’entrechoquent. Détails biographiques (voire inventés pour combler les vides les plus indicibles), anecdotes, photos sépia et quelques paperasses administratives, la narration se montre dense et parfois à la limite de l’anarchie. Pourtant, page après page, le projet prend forme et finit par offrir un portrait tangible de ces destinées emportées par le chaos. Personne ne refera l’histoire, mais, au moins, chacun aura sa place, pour le meilleur ou pour le pire.
Puissant, fourmillant, aussi dramatique que vivant, L’odeur des pins – Ma famille et ses secrets ne laissera personne indifférent. Une lecture indispensable afin de ne pas oublier et mieux appréhender ce qu’a été, au niveau de l’individu, la réalité des années de guerre du côté allemand.
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