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armi la multitude de sorties et de rééditions de manga proposées au public francophone, il y a une série réellement indispensable à tous les amateurs de récits historiques épiques : Bokko . Ce titre est quasiment passé inaperçu lors de sa première édition en 1999 chez Tonkam, masqué par les mastodontes du shônen et par une diffusion encore limitée de la bande dessinée japonaise dans les librairies. Vingt-quatre ans plus tard, Vega-Dupuis entreprend de sortir ce trésor de l'oubli.
Dans ce sixième tome, Ke-ri et ses compagnons partent explorer le royaume de Qin pour épier leurs futurs adversaires. Ils se retrouvent bloqués dans la cité, le royaume mettant tous les moyens en œuvre pour trouver Niang, une espionne envoyée pour tuer le souverain. Les chemins et les destins se croisent : i s'agit dès lors d'élaborer un plan pour s'échapper tous ensemble...
Adaptée du roman de Ken'ichi Sakemi (inédit en français), l'histoire de Bokko est une fiction historique d'une qualité rare, reposant sur une véritable philosophie : le moïsme, inventé aux environs de 2.300 avant notre ère. Ce roman, grand succès en Asie, y compris en Chine, a connu de multiples adaptations. En 1992, cherchant à sortir des travaux alimentaires et des séries romantiques à la mode en cette période, le mangaka Hideki Mori a mis tout son talent dans la conception de cette fresque.
La trame de l'intrigue de la version dessinée colle à celle du matériau de départ à quelques libertés près. Le romancier a collaboré avec le scénariste tout en lui apportant son soutien. De ce fait, l'âme anti-militariste qui sous-tend la philosophie du personnage principal est formidablement retranscrite. Et ceci dès le premier arc narratif durant lequel Ke-Ri défend la citadelle de Liang (couvrant les trois premiers tomes de la réédition). Le mangaka pose le décor et le contexte de l'unification de la Chine tout en dévoilant une partie du passé de son personnage principal. Parallèlement, il parvient aussi à dépeindre plusieurs situations militaires afin de montrer le génie des techniques de défense du disciple de Mozi. À partir de ce moment, Ke-Ri réalise que son ordre est en train de muter et il décide de comprendre qui peut en être à l'origine et pour quelles raisons. Ce qui amène l'auteur dans un deuxième arc plus complexe, où les intérêts de différents acteurs s’entrecroisent et des alliances de circonstances se forment aux détriments des peuples et du pacifisme prôné autrefois dans le moïsme. La quête du personnage principal, qui fait tout pour coller aux idéaux qui l’ont forgé en tant qu'homme, devient la trame de fond du récit. Ce parti-pris évite l'écueil d’une série répétitive de défense de citadelle qui aurait probablement affadi la série. Ce sixième tome se déroule dans le milieu de ce nouvel arc, où le stratège relève le défi imposé par l'empereur tout en endossant un statut de rebelle à l'ordre moïste. La tension scénaristique gagne en puissance.
Graphiquement, l'artiste est d'une rare efficacité. La composition de ses planches démontre sa maitrise des cadrages et du rendu des espaces : les vides sont utilisés afin de donner de la dimension, particulièrement dans les scènes montrant les murailles ou de batailles. Le dessinateur a aussi réalisé un travail important sur les vêtements et les décors. Manquant de documentation sur les édifices de l'époque, Mori est allé piocher bien loin ses inspirations en particulier dans l'architecture africaine antique. Dans ce sixième tome, il utilise aussi une double-page pour créer un sentiment de malaise lorsque les trois protagonistes découvrent les statues dans le futur tombeau de l’empereur. Ses personnages sont élégamment mis en valeur en utilisant une large gamme de plans. L'artiste pousse également le perfectionnisme dans la représentation des nombreux animaux apparaissant dans la saga (la division insecte du clan de Ke-Ri, le cheval que le héros chevauche nu pour fuir l'ennemi). Les détails sont d'une précision impressionnante. Le trait est rigoureux et limpide, en un mot magnifique.
Admirateur du Gekiga, Hideki Mori en a rebattu les cartes avec Bokko, tant et si bien qu'il est devenu l'un des maîtres du neuvième art. Il faut le répéter : cette saga est indispensable !
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