L
es dictateurs sont souvent mégalomanes. Ils veulent marquer l'Histoire. Quoi de mieux qu'un événement sportif à la portée internationale pour asseoir sa gloire ? Le président Houari Boumediene a donc mandaté l'architecte brésilien Oscar Niemeyer pour concevoir sa Cité Olympique afin d'accueillir ses « Jeux méditerranéens de 1975 ».
Et après ? Il reste un complexe grandiose auquel il faut bien trouver une utilité. Les affectations vont se succéder, au gré des péripéties qui agitent l'Algérie. L'un des fleurons de cet ensemble, le Rwama, en forme d'arc de cercle, accueille des familles de coopérants européens ainsi que des membres de l'administration. Celle de Salim Zerrouki s'y installe en 1978, bénéficiant d'un logement de fonction. Le petit garçon y passera son enfance, dans une atmosphère en partie préservée des soubresauts politiques qui agitent le pays.
À travers ce récit, l'auteur raconte ces années troubles, alors que l'économie nationale s'effondre et que l'islamisme entame son ascension vers le pouvoir. Son environnement est partiellement protégé du pire, malgré les restrictions en eau, les coupures de courant et les pénuries. Il faut, par exemple, souvent passer en mode "survie" lorsque les robinets ne coulent plus que quelques heures par jour. Il ne connaît pas tout à fait la même vie que ceux de la cité CNS, qui domine le Rwama. La pauvreté y est encore plus criante et la violence omniprésente.
De prime abord, un roman graphique de plus sur une enfance "orientale" pourrait faire double emploi après Persepolis, L'Arabe du futur ou encore Une éducation orientale. Le lecteur doit-il faire face à un avatar de plus d'un nouveau genre de bande dessinée, devenu porteur après quelques succès marquants ? La crainte est légitime, mais elle est rapidement balayée. Salim Zerrouki réussit à singulariser son propos dans cette autobiographie. En prenant un immeuble comme point d'appui, il opte pour un angle original, l'évolution de l'état du bâtiment devenant un témoin et un indicateur de la décrépitude du régime. Il parvient également à traduire l'ambiance oppressante, telle que ressentie indirectement par un enfant, conscient des problèmes de plus en plus profonds malgré l'écran de fumée projeté par le gouvernement. Par exemple, le récit des émeutes de 1988 repose sur un procédé narratif intelligent qui explique subtilement la désinformation d'État.
Rwama, mon enfance en Algérie relève le challenge de ne pas ressembler à un "Algérien du futur". Il possède une identité propre et propose un portrait touchant, doublé d'une description intéressante de la situation politique de l'Algérie, ce premier tome s'achevant sur la prise de pouvoir du Front Islamique du Salut.
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