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onn, République Fédérale d’Allemagne, 1977. Technicien à l’institut de médecine légale de l’université, Ralph fait partie de cette génération qui a dû faire fi, puis réinventer son pays au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Même si les horreurs du régime précédent le hantent parfois la nuit, il se tient debout et assume sa nationalité. Par contre, il a un peu de peine à comprendre les jeunes, son fils, en particulier et les luttes de l’époque. Tenez, les membres de la Fraction Armée Rouge que certains voudraient voir libérés, ce sont des terroristes et des assassins quand même. Un soir, après une soirée un peu trop arrosée, ses certitudes et son petit train-train vont être bouleversés par un accident d’automobile.
Avec L’expert, Jennifer Daniel met en scène et décortique l’âme allemande, trente ans après la défaite des nazis. Plus roman au premier sens du terme que polar, elle suit un Monsieur-tout-le-monde qui a tourné la page et a fait de son mieux afin de se rebâtir, sans avoir rien oublié, malheureusement. Le nœud du problème est bien là. Humainement et psychologiquement sa tâche est titanesque. Faire face et embrasser les changements de la société, tout en conservant une posture morale irréprochable, alors que les blessures intérieures d’hier ne sont pas encore cicatrisées. Le portrait qu’en tire la scénarise est impeccable et sans concession. L’imbrication de celui-ci dans les évènements de son temps se montre aussi sans faute. Il en résulte un album plein, prenant et particulièrement habité. Le fait que Ralph soit inspiré en partie du grand-père de l’autrice y est certainement pour beaucoup.
Visuellement, le trait vaguement expressionniste et délicieusement vintage de la dessinatrice fait des étincelles et retranscrit avec authenticité et malice les seventies. Loin des canons du réalisme, le rendu général fait appel aux impressions esthétiques que ces années ont laissées dans les mémoires : habits aux coupes démesurées, voitures angulaires (sauf la Coccinelle, évidemment), couleurs aux tonalités excentriques, etc. Autre point fort, Daniel utilise son cadre général pour renforcer les dilemmes intérieurs de son héros. En effet, l’affrontement entre routine et modernité se déroule également au niveau des décors où design traditionnel et d’avant-garde s’entrechoquent d’une scène à l’autre. Les temps changent, c’est inéluctable, mais le passé s’accroche et n’a pas dit son dernier mot. Le ressenti est admirable.
Œuvre totalement aboutie et passionnante à décortiquer, L’expert est un ouvrage d’une force et d’une tenue incroyable. Sous couvert d’un tout petit fait divers quasi anecdotique, Jennifer Daniel a trouvé les bons mots et les bonnes images pour raconter une page critique de l’histoire de tout un pays. Impressionnant.
Les histoires de médecin légiste ont actuellement la côte. Encore une de plus qui situe l'action en 1977 en République Fédérale d'Allemagne au moment de sa lutte contre les fractions de l'Armée Rouge.
Pour rappel, la RAF est une organisation terroriste d'extrême gauche qui a opéré en RFA de 1968 à 1998 dans un climat de terreur et de paranoïa. Si on creuse un peu plus profondément, on s'aperçoit que c'est un mouvement contestataire né parmi les étudiants contre les injustices de ce monde.
En Allemagne, cela a pris l'accent d'une nouvelle génération qui demandait des comptes à l'ancienne. On se souviendra par exemple de ce président de la Dresdner Bank qui est assassiné par un commando dont fait partie sa filleule. Oui, l'heure des comptes a sonné.
Oui, notre héros est certes un expert en son domaine mais il fut un jeune soldat de 18 ans enrôlé dans l'armée du führer. Beaucoup d'anciens soldats occupent des postes à responsabilité dans cette nouvelle Allemagne. C'est véritablement le choc des générations. Voilà pour le contexte général dans lequel s'inscrit ce récit aux accents véridiques.
Certes, la thématique est assez particulière mais l’auteur l’aborde de façon beaucoup trop contemplative sans apporter le souffle nécessaire.
Pour le rester, je n'ai pas trop aimé le graphisme qui n'est pas un de mes préférés. Quant au récit, il est parfois alambiqué bien qu'on puisse en comprendre les grandes lignes. On se rendra compte que les puissants de ce monde peuvent encore tout faire et tout maquiller pour cacher leurs méfaits.
Au final, une œuvre à découvrir mais surtout pour son contexte assez intéressant.