I
l y a bien longtemps qu’Emmett Dalton a tiré un trait sur son passé de criminel. Depuis sa sortie de prison, le benjamin de l’un des gangs les plus craints des États-Unis se noie dans l’alcool. Mais sa rencontre avec John Tackett, producteur de cinéma, lui offre une occasion de sortir de sa torpeur pour raconter l’histoire des frères Dalton, la vraie. Cette rencontre le plonge dans ses souvenirs et donne un tournant inattendu à sa vie. Plusieurs années après, en 1922, Emmett a retrouvé Julia, son amour de toujours. Ensemble, ils mènent une existence paisible, jusqu’à ce que se présente l’opportunité de nouvelles aventures du côté de la Californie. Tackett l’a compris : l’avenir du cinéma est à Los Angeles.
À l’occasion du premier tome paru en 2021, Antoine Ozanam faisait découvrir au lecteur sa vision du personnage d’Emmett Dalton. L’homme est meurtri par son passé, déboussolé (aux antipodes, évidemment, de ses cousins fictifs imaginés par Morris et Goscinny dans les aventures de Lucky Luke). Ne niant rien de ses actes en tant que gangster, le seul survivant des Dalton comprend qu’il a la responsabilité de raconter ce qu’il a vécu réellement avec ses frères. Car si la fratrie est tombée dans la criminalité, elle a d’abord longtemps incarné le respect de la loi par l’intermédiaire de la fonction de marshal. Le second acte de ce diptyque s’ouvre après une ellipse de plusieurs années. Le premier film retraçant l’histoire du gang est sorti, Emmett commence à jouir d’une certaine notoriété et se lance dans des projets ambitieux. Mais il conserve un goût d’inachevé dans sa volonté de rétablir la vérité alors que l’industrie du grand écran oblige à mettre l’accent sur des scènes d’action spectaculaires. La mélancolie, très présente dans le premier opus, laisse davantage place, ici, à une détermination du personnage à aborder certains sujets cruciaux, à l’image des conditions d’incarcération, et à trouver le bon canal pour exprimer ses sentiments. Peu à peu, le présent prend le pas sur la nostalgie.
Avec cette première série à son actif, Emmanuel Bazin s’est solidement imposé comme un dessinateur à suivre de près. Il est, d’ailleurs, peu étonnant que Tiburce Oger l’ait associé au projet Indians ! réunissant la fine fleur des dessinateurs de la conquête de l'Ouest. Gommant les quelques défauts perceptibles dans le tome introductif, l’auteur délivre ainsi des planches méticuleuses et d’une grande élégance bien mise en valeur par le choix (à souligner) d’un papier mat pour ce deuxième volet.
Suite et fin réussie pour Mauvaise réputation qui plonge le lecteur au cœur des tourments d’un personnage passionnant.
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« Mauvaise réputation » c’est d’abord une atmosphère faite d’un style réaliste au trait léger et délicat ; de tons automnaux, crépusculaires, parsemés de vibrants éclats de lumière ; sans oublier ces espaces un peu vaporeux dans lesquels les personnages semblent parfois flotter. Hervé Bazin a réalisé un travail d’une immense élégance.
L’impeccable couverture démontre encore une fois sa maitrise de la composition et son goût affirmé pour le silence et la contemplation.
Antoine Ozanam livre de son côté un récit précis, parfaitement adapté à l’univers graphique de son dessinateur : 1908, puis 1922. Emmett Dalton, seul survivant du légendaire gang d’outlaws pilleurs de trains et braqueurs de banques, puise dans ses souvenirs pour collaborer avec un producteur de cinéma. Leur but ? Tourner un film qui réhabilitera la véritable histoire des Dalton, loin des clichés sensationnalistes et racoleurs vendus par les feuilles de chou de l’époque. À l’origine, des marshals épris de justice, contraints de sombrer dans l’illégalité à la suite du non-paiement de leurs salaires.
Les auteurs alternent présent et passé avec virtuosité. A noter d’ailleurs que le découpage est heureusement beaucoup plus fluide dans ce 2ème tome.
Les réminiscences d’Emmett, synonymes d’un Far West désormais révolu, se teintent de nostalgie alors qu’un Hollywood à peine naissant commence à transformer les collines californiennes jusqu’alors désertes.
Les unes de journaux insérées en tête de chapitres, magnifiquement illustrées par H. Bazin, renforcent le dialogue – qui s’avèrera fécond – entre fait divers, paillettes et fiction.
Un diptyque absolument splendide.
PS : si le papier mat accorde une incontestable valeur ajoutée au dessin, il reste très perturbant pour moi d’avoir le tome 1 en brillant et le tome 2 en mat !