A
u départ, il y a un projet un peu fou : rendre hommage au film de Stanley Kubrick d'après Arthur C Clarke en s'inspirant de scènes emblématiques de ce classique absolu qu'est 2001, L'odyssée de l'espace. L'intention de l'auteur tend à lui donner une suite, non pas au sens classique du terme mais plutôt dans une optique thématique. Le scénario regorge de thèmes propices à la réflexion et l'iconographie du film est tellement marquante qu'elle ne demande qu'à être réappropriée. ce sont une grammaire et un vocabulaire inédits qui sont mis à disposition des conteurs.
Ainsi, la première histoire, Le grand ancêtre, revisite la séquence d'ouverture, débutant sur des pré-humains jusqu'à la mythique ellipse qui résume plusieurs centaines de milliers d'années d'évolution d'un os à une station orbitale. Les chapitres suivants racontent chronologiquement l'envol de l'humanité vers les étoiles. Si les épisodes sont généralement indépendants les uns des autres, ils constituent pourtant un tout d'une cohérence parfaite. De chapitre en chapitre, une épopée se dessine sous les yeux du lecteur, qui assiste à la lente émancipation de l'Humanité de sa planète d'origine. Si le niveau est parfois inégal, les moments de grâce compensent infiniment quelques segments plus dispensables. Et si le lien avec le long métrage et le roman de 1968 semble parfois ténu, la filiation reste malgré tout évidente dans l'esprit.
2001 Nights Stories représente une œuvre indubitablement à part dans l'histoire du manga. Ce projet mélange un approche de la science-fiction spéculative très crédible avec un ton qui oscille entre questionnement philosophique et mélancolie. Les interrogations peuvent parfois sembler naïves et teintées d'une foi dans l'avenir qui n'est plus trop de mise ces dernières décennies. Elles n'en sont pas désuètes pour autant. La narration est volontiers lente, presque contemplative. Cette impression est renforcée par une édition en grand format. Les planches apparaissent dans toute leur majesté. Les cadrages époustouflants ramènent l'Humanité à sa juste place dans l'univers : celui d'un grain de sable qui se jette à corps perdu dans son exploration, quitte à risquer de s'égarer.
L'ironie avec les ouvrages dont le titre utilise des dates, c'est que le futur qu'ils envisageaient finit par se situer dans le passé. Big Brother n'a pas déferlé sur le monde en 1984. Le Discovery n'est pas parti vers Jupiter en 2001. Cela ne les rend pas moins pertinents. Ces jalons ne doivent évidemment pas être pris au pied de la lettre. Ils ne font qu'imaginer une certaine version du futur. Et rien ne permet d'indiquer qu'elles soient désormais caduques. Dans ce cas précis, ce paradoxe est encore accentué par le décalage entre le style très réaliste de Yukinobu Hoshino, dans la lignée d'un Otomo, et ceux en vogue actuellement. Visuellement, cette série est indubitablement datée. Cela ajoute encore à son charme.
Publiée au japon entre 1984 et 1985, son destin éditorial en français est pour le moins étrange. Elle fut ignorée lors de la première grande phase de la conquête du marché francophone, alors qu'Akira se taillait la part du lion. De son auteur seul Le trou bleu parut chez Casterman. Elle fut finalement éditée pour la première fois à 2001 exemplaires à un prix prohibitif. L'éditeur pressentait un succès commercial illusoire et ce titre, classique indispensable, c'était devenu un secret de polichinelle, n'intéresserait qu'une audience restreinte. Cette "version d'origine" se veut plus accessible, à la fois chère pour le segment du manga, mais finalement dans une gamme de prix qui correspond plus à des auteurs occidentaux. Ce traitement éditorial particulier est parfaitement adapté à ce chef-d’œuvre patrimonial.
Je l’ai attendue cette réédition. Ça y est, je l’ai lue. Et … Dieu que c’est beau … et très poétique, sans oublier bourré de Hard-SF « à l’ancienne » comme je l’aime. Grandiose.
Je pèse mes mots, c’est un pur chef d’œuvre de SF toutes catégories que tout amoureux du genre se doit d’avoir lu un jour.
Je ne m’attendais pas à être aussi souvent ému ou enchanté, triste ou désabusé.
C’est autant un drame humain que de la SF, c’est autant optimiste que pessimiste.
Et c’est beau, pfiou, masterclass visuelle.