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n débarquant à Cuba au début de l’été 1956, Lucien Rivard a deux idées en tête : mettre de la distance entre lui et Montréal afin de se faire oublier d’associés n’appréciant pas ses méthodes et devenir riche. Ça tombe bien, le président Batista vient de changer la loi libéralisant les casinos et les investisseurs sont les bienvenus. Meyer Lansky, le redoutable financier des mafias américaines, est déjà sur place et veille à ce que tout se passe bien. Rivard peut s’installer et continuer ses trafics personnels, mais qu’il reste à sa place et qu'il n’oublie pas de payer sa dîme. Très rapidement, les affaires démarrent grâce aux touristes américains. Dans la foulée, le québécois réactive ses contacts avec les Corses de la French Connection et monte une filière pour écouler vers l’Algérie des surplus d’armes de l’US Army. L’argent rentre, il fait beau, c’est la belle vie. Seul le débarquement d’un groupe de révolutionnaires hirsutes au sud de l’île vient troubler la quiétude apparente de ce coin de paradis. Fidel Castro, qui c’est ce gars-là ? Peu importe, de toute façon, pour prendre le pouvoir, il lui faudra de l’équipement militaire et une cargaison de matériel sensible en provenance de la Floride va bientôt arriver. Pourquoi s’inquiéter ?
Docu-fiction dans l’esprit et l'ampleur de La Bombe, Havana Connection propose de revivre les quelques mois entourant les derniers moments du régime de Batista et l’avènement de Castro et de ses Compañeros. Aux commandes du scénario, Michel Viau (MacGuffin & Alan Smithee) a choisi comme fil rouge Lucien Rivard, un gangster québécois devenu légendaire dans la Belle Province. Autour de ce caractère guère recommandable, mais doté d’un sens de la loyauté «à l’ancienne», Viau a recréé les différentes composantes de la société cubaine d’alors : jeunesse bouillonnante, bourgeoisie établie prête à tout pour conserver ses droits acquis, mafieux, opportunistes et un gouvernement corrompu qui n’a pas su comprendre que les temps changeaient comme allait le fredonner Bob Dylan sous peu. Il en résulte un récit chorale convaincant, malgré un ton frôlant parfois le didactisme ou la leçon de choses. La grande force de l’album vient particulièrement de la manière dont les protagonistes inventés se fondent naturellement dans les faits avérés et les personnages réels. Il en résulte un portrait complet et spécialement habité d’un des évènements-clefs de la Guerre Froide et de la deuxième moitié du XXe siècle.
Aux pinceaux, le multi-tâche (outre plusieurs albums en Europe, il mène une carrière remarquée chez Marvel) Djibril Morissette-Phan illustre ces tribulations à la grandeur d’un pays avec autorité. Trait réaliste assuré, découpage et mise en scène travaillés qui permettent de faire «passer» un style un peu figé et, surtout, une colorisation d’une élégance et d’une efficacité remarquable. En effet, avec l’idée en tête de reproduire le rendu des parutions des années 50, le dessinateur a utilisé des trames mécaniques et des tonalités délavées pour habiller ses planches. L’immersion est immédiate et confondante de ressenti. Pas ringard pour un sou, cet aspect vintage apporte un réel supplément d’âme et d’urgence à cette page d’histoire.
Approche et traitement classique dans le bon sens du terme, Havana Connection arrive à capter et à retranscrire fidèlement l’atmosphère du paysage tant socio-culturel qu’économico-politique en vigueur dans les Caraïbes à cette époque. Quant à Lucien, à défaut de devenir millionnaire, il aura la chance de sortir vivant de son expérience cubaine. Sans compter que ses péripéties dans le milieu seront loin d’être finies (cf. le très bon dossier en fin d’ouvrage).
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