P
our réaliser Bella Ciao, sa trilogie sur la diaspora italienne de Lorraine, Baru a accumulé une foule d’anecdotes et autres souvenirs familiaux (au sens large, la famille). Évidemment, pagination et dramatisation oblige, tout n’entrait pas dans les trois volumes prévus initialement. Comme c’est dommage de gâcher, l’auteur de Fais péter les basses, Bruno ! a décidé d’ajouter un volume à ses propos. Rodina n’est pas à proprement parlé un quatrième tome, plutôt un supplément indépendant ancré dans le même cadre général. D’ailleurs, un protagoniste déjà rencontré auparavant sert de fil rouge à ce retour sur les années de guerre.
Tout le monde l’appelle Enrico, son vrai nom est en fait Heinrich Becker, un patronyme infiniment plus sauerkraut que spaghetti. Dans une région profondément marquée par l’Occupation, comment se fait-il qu’un Allemand se soit retrouvé intégré à la population d’origine transalpine ? Armé de quelques racontars, Baru a décidé de se pencher sur cet individu qu’il a croisé étant gamin. Qui est-il vraiment ? Un soldat de la Wehrmacht ayant déserté ? Un prisonnier politique échappé d’un camp de travail ? Un pauvre gars s’étant retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment ? D'indices variés en versions vaguement concomitantes, une image fluctuante de cette période sombre se met en place.
Après Enrico/Heinrich, c’est au tour d’une autre silhouette sortie de l'univers social du scénariste de resurgir : Lena, une Russe ou Ukrainienne, ce n’est pas très clair. Encore une figure rapportée improbable, venue s'échouer sur les pentes d’un terril ? Oui et non, dans ce cas, les informations sont plus nombreuses. C’était une prisonnière des nazis qui faisait partie d’un groupe de femmes libérées par des maquisards. Celles-ci refusèrent de se cacher et formèrent Rodina, le seul et unique détachement exclusivement féminin de la Résistance française. Reste à trouver la bonne manière pour mettre en forme et raconter cet incroyable épisode historique oublié.
Aussi passionnant que Uno, Due et Tre, Rodina aurait très bien pu faire partie d’une quadrilogie finalement. Les hasards du monde de l’édition auront décidé de le placer un petit peu à l'écart. La construction en mosaïque un peu foutraque apporte un supplément d’âme primordial à ces échos du passé : quel récit est avéré ? Quel témoignage n’est qu’un souvenir imaginaire recomposé après coup ? Peu importe : il s’agit là du vécu et du ressenti des hommes et des femmes. Certes, le temps a un peu atténué la précision des faits. En contrepartie, la véracité s’est teintée d’une patine délicieuse, mais pas moins convaincante.
Indispensable travail de mémoire et superbe leçon de bande dessinée, Rodina est une lecture essentielle, autant aux amateurs de la grande Histoire que des petites histoires. Allez, Monsieur Baru, vous avez bien encore un ou deux potins dans votre besace ?
Sans être une suite de la trilogie Bella Ciao, Rodina ajoute des épisodes vécus par l’immigration italienne dans le Pays Haut lorrain, centrés sur la période de la seconde guerre mondiale et la Résistance.
C’est toujours Teo qui raconte, entre souvenirs et recherche de ses racines, volonté de ne pas oublier, surtout ceux qui ne sont plus là pour nous le rappeler. Concernant la Résistance, c’est un sujet cher à BARU, pourquoi se retrouve t-on du bon côté ? Ou pas ? Un choix que l’on paye souvent au prix fort, en perdant la vie. Cet engagement comme celui que l’on peut avoir en politique peut déterminer toute une vie. Celle des deux frères Martini, Franco et Giovanni que l’on retrouve avec Lena prisonnière russe évadée du camp d’Errouville. Avec aussi cette folle histoire oubliée du seul groupe de résistantes, donc exclusivement constitué de femmes venues de l’Est, prisonnières, elles travaillaient pour l’armée allemande à la mine ou pour construire une usine de V1 qui ne verra pas le jour. Aidées par les FTP, elles s’évadèrent pour créer ce groupe, Rodina (patrie en russe). Il y a aussi Heinrich ou Enrico, allemand devenu presqu’italien, qui s’invente des passés.
Un témoignage fort, un hommage vibrant à ces Résistant(e)s à qui l’on doit tant. Quand se mêle passé familial et histoire. Du BARU pur jus, assurément.