A
u cours de l'été 1994, François Mitterand aurait déclaré au journaliste Patrick de St Exupéry "Dans ces pays-là, un génocide, ce n'est pas trop important.
Au Rwanda, un million deux cent mille Tutsis venaient d'être massacrés en quelques mois à peine. Une "zone humanitaire sûre" constituée par la France au sud-ouest du pays, était en train de servir de zone de transit pour un million de personnes, essentiellement Hutus, qui franchissaient la frontière zaïroise (actuelle République Démocratique du Congo). Parmi eux, de nombreux participants aux massacres, petites mains, organisateurs ou idéologues, fuyaient pour échapper à la justice. Plusieurs gagneront l'Europe, où ils ne seront guère inquiétés.
A ce jour, entre deux cents et quatre cents génocidaires seraient installés en France, souvent sous leur propre nom. Un peu de persévérance permet de les débusquer afin de les dénoncer à la justice, qui n'a plus qu'à faire son travail. Instruire le dossier d'une personne accusée de génocide devrait être prioritaire. Dans les faits, c'est loin d'être le cas. Il aura fallu vingt ans pour qu'un premier procès se tienne en France. D'autres plaintes sont en cours d'instruction depuis des années, sans réelles avancées.
Pour accélérer le travail de la justice, Alain et Dafroza Gauthier ont fondé le "Collectif des parties Civiles pour le Rwanda" (CPCR). Ils multiplient les séjours au Rwanda afin de collecter preuves et témoignages pour que justice soit rendue. Ce travail est long et laborieux. Il est surtout indispensable et vital pour Dafroza, d'origine tutsie dont la famille a été victime du génocide.
Dans un premier temps, cette bande dessinée s'emploie à retourner sur quelques lieux emblématiques des tueries, comme l'école technique de Murambi ou l'église de Kaduha. Quelques témoins relatent l'innommable et les auteurs semblent mettre un point d'honneur à rappeler que la mort d'un million d'êtres humains n'est pas une statistique. C'est un million de tragédies et il est essentiel que les visages et les noms ne s'effacent jamais.
Pourtant, le plus édifiant n'est pas le récit de ces carnages. Ce n'est pas non plus l'exposé de l'organisation administrative rigoureuse et systématique mise en place par le gouvernement pour assurer le succès de ce nettoyage ethnique. Le plus choquant, c'est de découvrir le lent engrenage qui a culminé lors de ces quelques mois de 1994. Le point de départ peut se situer à la fin du XIXème siècle, lorsque l'Allemagne colonisa le Royaume du Rwanda et y imposa le christianisme et le concept de hiérarchie des races. Ce qui jusqu'alors n'était que des classes sociales ont été assimilées à des races. La Belgique acheva de semer les germes de la discorde, choisissant de s'appuyer sur un groupe au détriment de l'autre pour faciliter la mainmise sur le butin de guerre récupéré après la fin de la Première Guerre Mondiale. Sans doute faut-il y voir l'un des effets moyennement positifs de la colonisation. Après l'indépendance, les Tutsis furent persécutés par les Hutus. Des massacres ponctuels poussèrent des centaines de milliers de personnes à fuir, parmi lesquelles Dafroza, ses proches restant dans le pays des Mille Collines, pour le pire.
Au travers de cet album, c'est tout un pan de l'histoire contemporaine qui est abordé. Souvent négligé, il permet pourtant de mieux comprendre le monde actuel. Il est difficile de ne pas en sortir avec une sensation marquée de dégout, surtout lorsque, pour ajouter à l'outrage, la France a accueilli de nombreux génocidaires. Si on ne peut pas parler de protection active, l'Etat leur prodigue une tranquillité très étrange.
Un génocide en Afrique, est-ce si important ?
Cette BD traite du génocide rwandais qui est intervenu au printemps 2014 et qui a tué près d'un million de personnes en 100 jours. Cela fut orchestré par un gouvernement ami de la France d’obédience hutu contre les tutsis, l'ethnie minoritaire. Inutile d'indiquer que je suis meurtri par un tel massacre à grande échelle, descendant de victime d'un autre génocide perpétré au XXème siècle.
Il est question d'un couple Alain et Dafroza Gauthier, qui comme les Klarsfeld avec les nazis, traquent les génocidaires rwandais qui se sont réfugiés en masse dans notre pays des droits de l'homme afin d'y couler des jours heureux loin de leurs responsabilités dans ses massacres. Ils veulent que la justice restaure l'humanité en brisant le cycle de la haine. C'est tout à fait louable.
Ce couple demande la justice d'autant que Dafroza a perdu presque toute sa famille et notamment sa mère brûlée vive dans une église, la plus sacrée du pays. Ils ont fondé une association. Le bilan n'est guère élogieux avec 5 procès en 30 ans sur 35 plaintes déposés. Il faut dire que la justice de notre pays est particulièrement lente et n'a pas mis les moyens.
La France de Mitterrand était l'ami du président hutu qui a été assassiné avec un tir de missiles contre son avion. Il est démontré aujourd'hui que ce sont des extrémistes dans son propre temps qui ont organisé cet attentant afin de prendre le pouvoir et d'organiser ce génocide. Evidemment, la France n'est pas coupable par complicité mais elle porte une lourde responsabilité car elle a permis par exemple la fuite des génocidaires. Aujourd'hui, elle traîne les pieds avec la Justice car elle désire tourner la page.
On va apprendre beaucoup de choses dans cette BD qui est la plus structurée et la plus intéressante de ce que j'ai pu lire jusqu'ici sur le génocide rwandais. Il est vrai que j'avais commencé ma lecture avec beaucoup d'appréhension que je ne souhaite pas étaler. Ce fut une réelle bonne surprise. J'ai apprécié la retenue de ce couple dont je comprends désormais mieux les motivations profondes. Comme Voltaire, ils disent qu'ils préféreront toujours un coupable en liberté qu'un innocent en prison.
On apprendra que les religieux catholiques ont également joué un rôle non négligeable dans ce massacre de masse bien que l’église soit finalement assez perdante dans ce drame humain. Bref, il n'y a pas que la France qui avait un accord de coopération militaire avec le Rwanda depuis les années 70.
On se rend compte que la discrimination des tutsis a commencé sous l'époque coloniale belge au gré de changement de politique. Cela a encré un poison manifeste dans la population qui a été employé par la suite par des politiciens véreux et avides de pouvoir.
Un mot sur le graphisme pour dire qu'il a permis une lecture assez facile et fluide. J'ai bien aimé les nuances sur les couleurs car il y aura des passagers très difficiles où il faudra retenir ses larmes.
Je recommande bien entendu cette lecture à ceux qui veulent comprendre ce qui s'est réellement passé là-bas. Certes, cela ne sera pas une partie de plaisir car on a affaire au crime le plus odieux qui soit dans l'humanité.