L
e Budokan, l’Olympia, le Whisky a Go Go, il y a des salles de spectacles dont la seule évocation suffit à faire tourner les têtes des amateurs de musique : concerts mythiques, endroits-clefs où de nouveaux sons ont été entendus pour la première fois ou, plus dramatiquement, lieux d’incidents tragiques restés dans toutes les mémoires. Situé au cœur d’Harlem à New York, The Apollo est peut-être la plus emblématique de ces scènes. En presque cent ans d’existence, du proto-jazz hérité du ragtime au rap, en passant par les big bands, le jazz, la soul, le R&B et le funk, une bonne partie de la musique noire nord-américaine a résonné dans ses murs. Plus largement et socialement, ce théâtre est également un symbole majeur des combats des afro-américains pour les Droits Civiques et l’égalité.
Avec l’aide de James Otis Smith aux pinceaux, Ted Fox revisite et actualise son ouvrage référence paru en 1983 avec Show Time at the Apollo. Jeune homme passionné d’histoire, il avait été le premier à s’intéresser à ce sujet, à une époque où celui-ci était tombé en décrépitude. À force de fouiner et de rencontrer d’anciens artistes, il a commencé à réaliser que l’auditorium était un endroit spécial, tant pour les musiciens, que pour le public et la société civile. Après des mois d’enquêtes et d’innombrables interviews, son livre avait fait date. Depuis, grâce à des mécènes aux poches profondes, l’Apollo a connu une énième renaissance et continue d’être en activité.
Ouvrage florissant, l’album rassemble un siècle d’anecdotes dans un maelstrom dessiné pas toujours maîtrisé, malheureusement. Vaguement chronologique, la narration saute du coq à l’âne à tout instant, présente une avalanche ininterrompue de témoins, cite des chansons connues ou oubliées et coince à tout prix ses sources là où il reste un petit peu de place. De plus, comme la caricature n’est pas le point fort du dessinateur, les visages et les attitudes des différents protagonistes, même les plus célèbres, ne sont guère reconnaissables. Pour faire simple, tel un solo de John Coltrane en fin de carrière, le résultat s’avère irrespirable et, plus grave, presque illisible. Pourtant, quelle richesse thématique et quelle importance historique !
Deux cent cinquante pages remplies à ras bord n’ont pas été suffisantes pour absorber et retranscrire l’incroyable épopée de l’Apollo. Comme ces super-groupes, qui, malgré la somme de talents réunis, accouchent de résultats décevants, Show Time at the Apollo rate le coche : trop dense, chaotique et étouffant. Mille fois dommage.
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