C
et été, Lilith a décidé de partir en randonnée avec une amie. L’idée est de se déconnecter complètement et de ne se faire imposer aucun rythme autre que celui de ses pas. Direction la Bretagne et le GR34. Dans les faits, la balade ne durera que quelques jours, car, au détour d’un sentier, elle fait la connaissance de Popeye, un sexagénaire hirsute en train d’appliquer les préceptes de Thoreau et de ses suiveurs. Retour à la terre et à la simplicité, autonomie alimentaire et permaculture, Lilith tombe sous le charme de l’homme, de ses idées et du petit paradis qu’il cultive et développe. Fini le crapahutage, elle décide de prolonger son séjour et, qui sait, de démarrer une belle histoire avec cet Américain déraciné qui plante des arbres.
Autofiction plus ou moins fantasmée, Pépille raconte l’éveil et la prise de conscience d’une jeune femme d’aujourd’hui. Indépendante, mais un peu seule et inquiète comme tout le monde au sujet de l’état de la planète, l’héroïne va connaître une transformation personnelle à la suite de cette rencontre improbable (et de ses conséquences) qui la forcera à prendre les choses en main. Oh, elle ne va pas sauver la planète à elle seule. Simplement, elle ose dire stop et changer radicalement de mode de vie pour embrasser la nature, au sens propre et figuré. La fable est jolie et même admirable. Par contre, elle reste passablement naïve et déconnectée de la réalité globale. Un comble quand le fond du propos qui guide les décisions de cette trentenaire prône une approche systémique du développement de l’agriculture de proximité. Résultat, il est impossible de ne pas voir dans la démarche de Lilith une espèce de répétition des utopies communautaires des années soixante-dix (pour voir comment elles ont fini, se référer à l'excellent Communauté d'Hervé Tanquerelle). Le lecteur en sera quitte pour un pseudo-manuel de néo-foresterie mâtinée de conseils flirtant avec le new-age.
Outre une thématique très proche, le traitement à l’aquarelle et les différentes double-pages explicatives et/ou naturalistes font immanquablement penser à L’Oasis de Simon Hureau. Malheureusement, le trait souvent imprécis et le découpage trop resserré font pâle figure comparés à la légèreté de l’auteur du Jardin extraordinaire. La situation est d’autant plus regrettable que les têtes de chapitres, reprenant des extraits des carnets de croquis de la dessinatrice, dévoilent tout le talent de Rouxel. Dommage, car un album réalisé dans ce style aurait certainement eu plus d’impact.
L’ambition dictée par l’urgence climatique et l’énergie employée par l’autrice sont à souligner. Cependant, entre la sociologie, l’écologie, l’économie et le féminisme, Pépille brasse trop de sujets sans jamais en faire vraiment le tour.
J'ai beaucoup aimé cette BD, d'une sincérité et d'une humilité remarquable. Je me retrouve dans les thèmes abordés par l’œuvre : écologie, féminisme, amour etc. Si la démarche du personnage (et aussi de l'autrice en fait) est d'une grande conscience morale, les thématiques sont abordées avec légèreté et une pointe de fantaisie. Les graphismes du livre ont un très beau rendu : de l'aquarelle fait main, ça change à l'ère du numérique. Je suis également convaincu par le découpage, bien rythmé, et surtout le lettrage, qui m'avait un peu déplu dans les précédentes BD de Rouxel. Au final, un bon moment passé avec cet album, je ne l'ai pas lâché du début à la fin.