C
e soir encore, Lame agite ses doigts pour raconter aux enfants la légende du chevalier scintillant. La bougie soufflée, le jeune homme rejoint les adultes sous les hautes voûtes de l’église abandonnée où ils vivent. L’inquiétude est palpable, car les vivres s’amenuisent. Gris, l’approvisionneur, propose à l’adolescent de l’accompagner à l’extérieur pour trouver davantage de nourriture. Enthousiaste, Lame sait qu’il devra se tenir sur ses gardes, car, dehors, des monstres terrifiants sont prêts à attaquer au moindre bruit. La sortie nocturne tourne mal, mais le garçon est déterminé à faire ses preuves. Il ressort, suivi de son amie Ocelle. Repérés malgré leurs précautions, ils sont sauvés in extremis par Lune, une femme étrange portant une multitude de grelots.
Allier quête initiatique et créatures issues du folklore français dans un monde plongé dans l’ombre et où tout son est synonyme de danger, tel est le pari de Yoann Vornière (Jill et Sherlock avec Jim Bishop et le collectif Reims sous le pseudonyme Yo-one) dans Silence, un manfra dont le premier tome est paru en ce début d’automne chez Kana. Mûri sur quelques années, le projet a tout pour être alléchant.
De fait, le lecteur découvre un shônen dans les règles de l’art, doté d’un héros aussi intrépide qu’attachant et entouré de seconds rôles forts et bien caractérisés, malgré quelques stéréotypes. L’action va bon train, dès le chapitre initial et ne faiblit à aucun moment. De l’exposition de la situation précaire de Lame et des siens à la marche audacieuse en milieu hostile qui s’ensuit, les péripéties sont nombreuses et les enjeux cruciaux. Bien que l’urgence domine cet opus initial, elle laisse entrevoir des disparités chez les protagonistes et soulève des questions, notamment autour de Lune et de ses facultés. Les dernières pages nourrissent également le mystère et attisent le suspense. Quant au bestiaire, il révèle déjà plusieurs spécimens retravaillés par l’auteur pour les mettre au service du récit. Si le sanglier aux défenses enflammées et les fantômes chanteurs ne seront guère familiers, une certaine souris collectionneuse de dents et une autre aux poils verts ne manqueront pas d’évoquer des souvenirs. En revanche, ici, elles se montrent plus inquiétantes que les héroïnes du mythe et de la comptine.
Pour restituer au mieux les singularités de son univers, notamment la nécessité de communiquer sans verbalisation audible, le bédéiste a eu l’idée de recourir à la langue des signes française, qu’il a traduite graphiquement par des gesticulations digitales, des bouches fermées et des phylactères entourés de tirets. Les trois facteurs combinés permettent de comprendre que les échanges se font silencieusement. Toutefois, la présence de passages en dialogues parlés conduit à oublier parfois cette spécificité. Outre cet aspect, la mise en images s’avère réussie, grâce à un découpage efficace, des plans variés, un trait expressif et le soin apporté aux détails.
S’appuyant sur un schéma classique de récit initiatique, ce tome initial de Silence ouvre une histoire riche et singulière. Un début de série prometteur qui donne envie de découvrir la suite.
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