« Le lien avec un chien est si mystérieux, si profond, si intime. Le mien sait tant de choses de moi que je ne soupçonne pas. »
Pendant treize ans, Jim a partagé la vie de François Schuiten. Les canidés ont malheureusement une longévité singulièrement plus courte que celles des hommes. Et quand ils meurent, ils leur brisent le cœur. L’illustrateur des Cités obscures a vécu son deuil en dessinant son fidèle compagnon. Ses crobars sont réunis dans un petit livre rendant hommage à son meilleur ami, mais également à toute la gent canine. Cela dit, au final, l’auteur parle autant de lui que de celui qui l’a abandonné.
Jim est essentiellement un recueil d’illustrations ; chacune accompagnée d’une ou deux phrases. Le propos est décousu et il n’y a pas de réelle ligne directrice, un peu comme si l’esprit du bédéiste était à la dérive ; en fait, il l’est… Et c’est touchant. Il semble évident que cet opuscule s’est constitué dans une forme d’urgence, celle de conjurer la mort et l’oubli, celle d’offrir un mausolée littéraire au quadrupède.
Le motif n’est certes pas aussi abouti que dans les projets réalisés avec Benoit Peeters. Le trait hachuré de l’artiste demeure toutefois reconnaissable entre mille. En une cinquantaine de dessins, il traduit l’absence et le désarroi, sans jamais se répéter. Son coup de pinceau se révèle généralement éloquent et les mots apparaissent alors presque accessoires.
Un bouquin sans prétention, à mettre entre les mains de ceux qui préfèrent les chats, certainement parce qu’ils connaissent trop mal les chiens.
Curiosité, en fin d’album, quelques collègues célèbrent Jim. Avec une certaine ironie, s'y trouve Geluck et son félin philosophe et Benoit Sokal ; il est à espérer que ce dernier accueillera joyeusement le flat-coated retriever au paradis.
Sobrement rebaptisé « Lettre d’amour à mon chien » sur la jaquette de couverture, ce simple carnet de dessins du dessinateur et scénographe François Schuiten est un petit bijou de mélancolie et de tendresse dédié à son compagnon canidé défunt. Schuiten décline au fil des illustrations impeccables de sobriété et de justesse l’indicible manque de l’être aimé, fut-ce-t-il un animal. Mais peu importe l’enveloppe corporelle et l’espèce à laquelle on est assigné, quand le lien est créé ce n’est plus qu’une question d’amour entre deux êtres vivants développant leur propre complicité et se témoignant mutuellement affection et attention. De manière indélébile.
C’est superbe, c’est vibrant, et je remercie François Schuiten d’oser aborder sans détour, de surcroît avec autant de finesse, le sujet tabou du chagrin que l’on peut éprouver à la perte de son animal domestique. Le fantôme du chien continue de hanter le quotidien du maître, chaque dessin exprime le manque et porte au lecteur le long sanglot de l’absence.
Ce carnet est finalement bien plus qu’une parenthèse anecdotique dans l’œuvre sculpturale de Schuiten : en sublimant le lien indéfectible au vivant que beaucoup ont tendance à oublier, ce modeste petit livre est pratiquement d’utilité publique.