L
e premier volume des Pionniers relatait la naissance du cinématographe, en France, à la toute fin du 19è siècle. L’apparition du septième art était narrée sur les plans techniques, artistiques et économiques. Méliès innove sans cesse, Charles Pathé et Léon Gaumont se livrent déjà une guerre impitoyable. Très rapidement l’Amérique, par le biais, notamment, de Thomas Edison, se positionne sur l’échiquier. Gaumont envoie Alice Guy, jeune réalisatrice pleine de talent et d’avenir, sur la côte est des États-Unis afin de créer des opportunités. Mais bien des obstacles se dressent sur son chemin : l’incompétence de son mari, le machisme du monde des affaires et le racisme banalisé de l’époque. Qu’à cela ne tienne : elle filme des acteurs de la communauté noire, plaide la cause des femmes et s’oppose de plus en plus à son époux. Simultanément, Méliès découvre une escroquerie qui implique ses films et Louis Feuillade crée le feuilleton.
Avec Le Rêve américain, second pan du diptyque Les Pionniers, Guillaume Dorison (Black Lord, Assassin’s Creed) et Jean-Baptiste Hostache (Neige Fondation, Naissance du tigre) achèvent la première époque de la tumultueuse histoire du cinéma. Celle-ci se caractérise par la simultanéité de découvertes, d’ambitions artistiques et d’intérêts économiques, qui faillirent s’annihiler les uns les autres. Les innovations technologiques s’enrichirent chaque année, stimulant l’imagination des artistes les plus audacieux, le tout engendrant un marché émergeant, dont la prise de possession justifiait tous les coups bas, y compris le sacrifice de la créativité. La question est posée : qu’aurait été le développement de cette nouvelle forme d’expression si Pathé et Gaumont avaient su s’entendre, ne laissant pas leurs égos les envahir et les américains s’immiscer dans les failles qu’ils avaient eux-mêmes créées ? Le constat et le ton sont amers. De ces précurseurs, les plus inventifs sont demeurés quasiment anonymes ; ceux qui sont passés à la postérité ont rapidement vendu leur âme au diable. La mémoire collective a retenu des patronymes d’industriels, plus que des noms d’artistes.
Cette œuvre a le mérite de mettre en lumière les recoins sombres des prémices du grand écran, d’établir une vérité, d’autant plus crédible qu’elle évite toute hagiographie, tout idéalisme. Le récit est documenté et précis, mais a des difficultés à se dégager d’une tonalité et d’un rythme didactiques. Guillaume Dorison a produit un brillant exposé, mais il y manque une trame fictionnelle qui donnerait vie à l’ensemble et impliquerait davantage le lecteur. Par conséquent, l’album est très dialogué, entraînant dans son sillage le dessin de Jean-Baptiste Hostache, réaliste et rigoureux, mais qui peine à se détacher des scènes de conversation, des gros plans sur les visages des personnages. La lecture peut donc s’avérer ennuyeuse, écueil qui aurait pu être évité en procédant à un décalage entre le contenu des phylactères et celui des cases. La démarche est pertinente, la documentation inattaquable, mais l’approche conventionnelle de l’expression empêche une adhésion complète.
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