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ienvenue dans la "zone grise", cet espace mystérieux qui existe entre la réalité et ces univers régis par des lois ignorant la raison. Qu'on les appelle mondes oniriques ou fantastiques, les voyageurs qui arpentent ses chemins y perdent tous repères et doivent lutter pour ne pas sombrer dans la folie. Celle-ci s'insinue dans les interstices séparant le rationnel de l'irrationnel. Elle nourrit les fantasmes, les délires, les idées les pus bizarres et peut parfois inspirer d'étranges obsessions, comme celle qui anime Jules, qui prépare son mémoire en école de cinéma. Il cherche un lien, aussi ténu soit-il, entre deux objets filmiques que tout oppose : deux films fantômes, chacun à leur façon.
Le premier est Coriolan, tourné en secret par Jean Cocteau en 1947 et voué à rester invisible. Personne ne l'a vu, il n'en existe qu'une copie, sans négatif, jalousement gardé par Daniel Filipacchi, fils d'un des rares participants à ce tournage. Seul un vague synopsis est connu. Le reste n'est que supputations.
Le second se révèle l'exact opposé. Des millions de personnes ont vu au moins une partie des quatre minutes capturées par une caméra de surveillance logée dans le plafond de l'ascenseur du Cécil Hotel, le 31 janvier 2013. Une jeune touriste, Elisa Lam, semble en panique. Crise psychotique ou agression ? les images ne permettent pas de trancher. La seule certitude concerne le fait que son corps sera retrouvé dans un réservoir sur le toit de l'immeuble. Les théories sont nombreuses, chaque pixel a été scruté sans pouvoir découvrir ce qui s'est passé cette nuit-là.
La création d'un génie ou un fichier numérique capturé par une machine... deux propositions extrêmes qui génèrent pourtant une fascination d'autant plus puissante qu'il est plus que probable que la vérité ne sera jamais dévoilée.
Voilà le postulat de départ posé par le jeune étudiant, qui désire y consacrer un documentaire pour valider son diplôme. Il est persuadé qu'un lien existe ces deux œuvres maudites. Il ambitionne d'offrir un contre-champ poétique à un fait divers inexpliqué, espérant que la suggestion lui montrera la voie. Ce sont plutôt les ombres et leur cortège de faux-semblants qui se manifestent, le faisant vaciller.
Dans cet étrange roman graphique, Serge Annequin invoque la puissance de l'image et l'influence mutuelle qui unit le cinéma et la réalité. L'étrange s'infiltre dans la moindre faille, pour qui est réceptif à sa présence. Folie ou malédiction ? Le récit se déroule dans une ambiguïté bienvenue avant de livrer les clés pour le décoder... ou pas.
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