L
es expériences rencontrées durant l’adolescence sont de celles qui marquent les individus, en bien ou en mal. Voilà sept ans, cinq amis en virée à la montagne avaient connu un incident terrible, inexplicable rationnellement. L’un d’entre eux, Alessio, un aspirant artiste, avait très mal vécu cette confrontation étrange avec des forces intangibles. Particulièrement bouleversé, ce dernier a ensuite souffert de problèmes mentaux et sombré dans la drogue. Pour les autres, l’expérience fut rude, mais rapidement oubliée et ils purent rependre le cours naturel de leurs existences sans réel dommage. Mais voilà, ce passé est de retour sous la forme d’enveloppes envoyées à chacun des quatre compagnons (Alessio ayant disparu des radars). À l’intérieur, des dessins torturés en rapport avec ce week-end alpestre catastrophique. Qui est l’expéditeur ? Pourquoi aujourd’hui et dans quel but ? Que s’est-il vraiment déroulé dans ce chalet ? Des retrouvailles sont nécessaires et urgentes.
Un joli pitch rempli de mystères et d’inconnues, une distribution chorale solide et diversifiée, de nombreux ancrages dans l’époque actuelle comme autant de pistes potentielles ou trompeuses et un rythme soutenu, la mécanique dramatique héritée des séries télé continue de «contaminer» le petit monde de la bande dessinée. Ce premier tome du Regard invisible en est une illustration frappante. En effet, Gwenaël et Serge Carrère ont imaginé un récit tendu, rassemblant tous les éléments du thriller contemporain à suivre. Chaque protagoniste a droit à sa petite backstory personnelle permettant de nourrir et d’enrichir une intrigue générale en devenir. Plus largement, la narration passe allégrement d’un fil à l’autre afin de maintenir un flot ininterrompu d’actions et de révélations. Le montage scénaristique s’avère sans fausse note et se montre d’une efficacité diabolique, quoiqu’un peu artificiel sur la longueur. Le tempo, les effets et les coups de théâtre s’enfichent tellement naturellement et si régulièrement que la lecture en devient quasiment automatique. Le trop est l’ennemi du bien, attention à l’accumulation sans fin et à la lassitude !
Trait réaliste globalement maîtrisé, Elisa Ferrari illustre ces pages avec une certaine autorité et une précision remarquable. En plus d'un découpage et d'une mise en scène ultra-classiques, elle apporte un soin particulier pour dépeindre ses acteurs et les décors (native de Vérone, elle a visiblement beaucoup de plaisir à montrer sa ville). Le rendu, très propre, pratiquement lisse (la faute en revient à des couleurs génériques signées Axel Gonzalbo) manque également légèrement de personnalité. Le résultat est cependant techniquement impeccable et agréable à parcourir.
Jusqu’à maintenant, il y avait les BD de genre : polar, SF, historique, etc. Il faut désormais compter sur les titres façon Netflix© & Co. Prenant et impeccablement raconté, Le regard invisible est fait pour captiver l’attention grâce à un sens du suspens implacable, en attendant l’épisode suivant pour recommencer de plus belle.
Poster un avis sur cet album