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énédicte et Florence. Florence et Bénédicte. Ces deux-là n’ont jamais connu la solitude. Depuis toujours (depuis l’utérus) elles sont unies, profondément inséparables, presque constamment combinées. Dans leur monde, le « je » n’existe pas. Il n’y a de place que pour le « nous », symbole de leur fusion totale. Elles ne forment qu’une seule et même personne, qu’elles surnomment elles-mêmes Florbendit. Quelques différences demeurent néanmoins perceptibles. L’une est gauchère, l’autre droitière. L’une a une tache dans l’œil, l’autre pas. L’une est habillée en rouge, l’autre en bleu. Mais ces distinctions sont si infimes qu’au fond, les jumelles semblent identiques en tous points. Du moins, en apparence.
Après quelques prémices d’introspection (mêlées à de la fiction) dans Forever ma sœur (2006), Florence Dupré la Tour entamait en 2016 un vaste projet d’exploration de sa propre jeunesse. Ce premier acte, intitulé Cruelle (illustré en nuances de gris), mettait en scène une petite fille énergique découvrant le monde et les émotions, et faisant montre d’une barbarie certaine à l’égard des animaux qui avaient le malheur de croiser sa route. Poursuivant dans cette voie (en ajoutant quelques nuances de magenta), deux tomes de Pucelle suivirent (Débutante, 2020, puis Confirmée, 2021). Étaient alors au programme l’environnement familial, l’éducation reçue et surtout la découverte par Florence de son corps. Avec Jumelle, l’auteure entame donc le troisième et dernier volet de sa plongée au cœur de l’enfance.
Les ingrédients demeurent globalement les mêmes. Les codes graphiques et le physique très caractéristique des personnages sont repris de sorte que le trait pleinement caricatural s’impose comme une forme de signature, de trait d’union, de l’ensemble. Tome après tome, les couleurs se font toutefois plus variées et plus assumées, comme si l’image devenait plus perceptible, les souvenirs plus nets. Plusieurs thématiques évoquées précédemment sont aussi réaperçues, au premier rang desquelles la structuration éminemment patriarcale de sa famille illustrée par l’autoritarisme du père, l’effacement constant de la mère et l’admiration des parents pour le seul « héritier » mâle.
Mais c’est bien la relation entre les deux sœurs, déjà abordée de-ci de-là, qui est au centre de ce nouvel opus. « Toutes les deux. Toutes seules. Tout le temps. Et rien autour. » Voici comment Florence Dupré la Tour résume, très simplement, cette histoire d’amour, cette bulle parfaitement hermétique dans laquelle même leur ainée, Violaine, n’est pas la bienvenue. Dans ce couple – c’est le terme qu’elle emploie – hétéronormé, Florence incarne le garçon : fort, protecteur et bruyant. Bénédicte est la fille, conforme à l’idée des femmes que leur milieu social leur inculque : sensible, calme, en retrait. Petit à petit, l’auteure découvre pourtant que les sentiments et les émotions ne sont pas toujours symétriques et réciproques. Émerge ainsi un besoin nouveau : apprendre à vivre sa propre vie.
Passionnant à plus d’un titre, Inséparables ouvre des champs de réflexion multiples sur l’amour, la gémellité et l’enfance. Cet ambitieux cycle autobiographique se conclura en septembre prochain avec la seconde partie : Dépareillées.
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Lire la preview de Pucelle tome 1.
Ce diptyque n’était vraisemblablement pas fait pour moi...
Car, si la proposition graphique de l’autrice est tout aussi lisible qu’accessible, je dois bien avouer que je ne suis pas très sensible à son trait : les visages de ses personnages ressemblent trop à des patates, avec des visages sans nez prenant parfois la forme de becs (en particulier la maman)... D’ailleurs, malgré une composition des planches élégante et des couleurs chatoyantes, les décors ne sont pas très élaborés non plus. Dur de m’y immerger...
Le propos du livre, qui évoque les affres de la gémellité vue de l’intérieur, est intéressant. Le storytelling graphique de cette œuvre est d’ailleurs beaucoup plus complexe que ne l’est le dessin en lui même. Indubitablement, c'est dans ce sens que Florence Dupré La Tour a su saisir mon attention, éclairer ma lanterne, faute de me séduire. Mais je dois aussi avouer que je me lasse de ces BD auto-centrées...
J’aurais lu finalement les deux tomes, plutôt destinés à des gens proches de sa situation à mon avis, qui y seront ainsi plus sensibles.