E
n décembre 1918, la Marseillaise retentit pour le Tigre, dans une Alsace-Lorraine libérée. Il a pourtant bien des ennemis ; ceux qui voulaient emmener les troupes jusqu'à Berlin, ceux qui trouveront le traité de Versailles trop sévère et les éternels rivaux politiques, dont le Président de la République, Raymond Poincaré. Cinq ans plus tard, alors qu'il passe une retraite guère paisible à Paris, Georges Clemenceau reçoit d'une certaine Marguerite Baldensperger, qui vit dans les Vosges avec mari et enfants, la proposition d'un projet éditorial. Celui-ci consiste à demander à des personnalités de parler de figures qui les auraient inspirées dans leur action. Marie Curie et Anatole France n'ont pas donné suite. Le vieil ours accepte et suggère de choisir Démosthène, homme d'État athénien, du 4è siècle avant notre ère, fameux orateur frappé pourtant d'un problème d'élocution patent. Bien que surprise, Marguerite accompagne la démarche et un premier rendez-vous est organisé. Un respect, puis un attachement et une amitié naissent. Les quelques heures parisiennes deviennent plusieurs jours passés dans la Vendée natale du vieux loup politique. Démosthène est vite mis de côté. Malgré leurs quarante ans d'écart, les deux êtres se trouvent, s'écoutent et se comprennent. L'un revient sur son parcours riche et chaotique, de la Commune à la Grande Guerre ; l'autre ne parvient pas à faire le deuil de sa fille aînée, qui s'est donné la mort.
Sur la base des six cent soixante-huit lettres que l'octogénaire a envoyées à celle qui est devenue son amie, pendant les six dernières années de sa vie, Benoît Mély, responsable des affiches et des bandes annonces chez Gaumont, publie sa première bande dessinée, dont il assure à la fois l'écriture et le dessin. Dans ce récit au rythme maîtrisé, il parvient à peindre une histoire d'amour hors norme, presque contre nature, entre une figure célèbre qui a présidé à la destinée d'un pays et une mère discrète et anonyme, que la mélancolie ne quitte pas. « Je vous aiderai à vivre et vous m'aiderez à mourir » lui déclare-t-il un jour, explicitant un pacte inédit entre deux individus qui n'auraient pas dû se rencontrer. Mais l'existence réserve parfois des faux pas, d'où émergent des petits bonheurs, des soutiens qu'on ne croyait plus possibles, des lumières qui tiennent la noirceur à distance quelques instants. Entre des regards et des gestes qui disent ce que les mots n'osent pas exprimer, sont évoqués l'Allemagne qui gronde, la paix si difficile à maintenir, l'engagement pour des valeurs. L'Europe et la sphère intime sont vues par les mêmes yeux désenchantés mais emplis d'un bien-être éphémère et palpable.
Le graphisme de Benoît Mély est libre, aéré et porté par l'émotion. Il n'hésite pas à offrir des pleines pages, à entremêler texte et dessin, à ponctuer son fil narratif de cases muettes, à laisser le lecteur respirer et apprécier. Il livre un album paisible, ce qui ne signifie pas ennuyeux, bien au contraire. Le Tigre y apparaît sous plusieurs figures : le tribun, le pitre, l'amoureux, le solitaire, le misanthrope, le combattant. Marguerite, elle, incarne la constance, un caractère immuable, ce que semble avoir toujours recherché le Vendéen, désormais au soir de sa vie. Tenu par une écriture solide et un trait au charme certain, cette œuvre est une réussite indiscutable. Un auteur est né.
Beaucoup de rues ou de places porte son nom en France. Il faut dire qu’il a été surnommé Le père la victoire suite à son mandat en tant que président du conseil pendant la Première Guerre Mondiale où il s’est démené pour le pays. Il a notamment soutenu le Maréchal Joffre pour un poste unifié au niveau des armées permettant une meilleure coordination entre les généraux.
Il a été un homme sans concession qu’on a surnommé également l’incorruptible mais on le connaît surtout avec le surnom « le tigre ». Bref, il donne des coups de griffe. Il a été le grand partisan d’une victoire totale sur l’Allemagne en n’hésitant d’ailleurs pas à sacrifier des hommes. La guerre aurait pu sans doute se terminer avant. Pour autant, c’est son dynamisme qui a permis à la France d’éviter une défaite alors que l’ombre de celle-ci planait encore en novembre 1917.
Par ailleurs, il est également connu comme le créateur de brigades policières afin de maintenir l’ordre mais également pour un combat dénonçant le colonialisme. Il se montrera plutôt sensible à la question sociale (n’oublions pas que c’est un radical de gauche républicaine).
C’est lui qui est à l’origine d’une intransigeance concernant les sanctions infligées à l’Allemagne ce qui précipitera le pays dans les mains d’un homme providentiel avec un fort esprit de revanche. On connait la suite. Parfois, il s’agit de bien réussir la paix pour éviter une future guerre encore plus dévastatrice.
A noter qu’au sortir de la guerre, Clémenceau perdra l’élection présidentielle de 1920 ce qui le marqua assez fortement au point qu’il se retire de la vie politique. C’est cette période qui est explorée dans cette BD car sans doute la moins connue sur cet homme illustre qui a marqué l’Histoire de notre pays.
Comme dit, on va se pencher plutôt sur un évènement de vie privée à savoir sa relation épistolaire avec une alsacienne mère de famille d’une quarantaine d’années. Il s’agit de sa rencontre en 1923 alors qu’il a 82 ans avec Marguerite Baldensberger qui donnera lieu à une correspondance de 668 lettres que se pressera d’ailleurs de publier son descendant à l’attention du grand public. Ces lettres à une amie permettront de découvrir les dernières années de la vie de cet illustre homme.
Cette femme respectable a eu un terrible drame dans sa vie à savoir le suicide par noyade de sa fille ainée alors qu’elle n’avait que 17 ans. On voit alors un visage beaucoup plus humain de cet homme qui n’a pas hésité à faire tomber plusieurs gouvernements de la 3ème République.
J’ai beaucoup aimé cette phrase : il l’a aidé à vivre et elle l’a aidée mourir. On voit bien que la différence d’âge est énorme mais que cela n’empêche pas une véritable relation d’amitié même si de mauvaises langues ont voulu y voir autre chose. A relever la pudeur qui s’est imposé les auteurs afin de ne pas alimenter la polémique autour de ces deux âmes abimées par la vie.
Un mot sur le dessin qui fait dans la clarté et la sobriété ce qui colle parfaitement à ce type de biographe.
Ce personnage radical et rebelle a côtoyé au cours de sa vie de grands noms tels que Gambetta, Zola, Jaurès, Victor Hugo, Foch, Pétain, Poincaré ou encore son ami le peintre impressionniste Claude Monet que l’on verra d’ailleurs dans cette œuvre.
C’est un autre portrait qu’on va dresser de lui sur un homme qu’on ne pouvait classer ni à gauche (du fait de son autoritarisme et de son nationalisme), ni à droite (du fait de son anticléricalisme). Bref, un homme politique unique en son genre auquel cette BD pose un regard plutôt complaisant mais sans doute réaliste. Le grand fauve de la politique reste aujourd’hui encore une référence qui dépasse tous les clivages.