A
lpes du sud, 1833. Fortuné Chabert est un instituteur itinérant, qui aime son métier et les enfants. Malheureusement, il va être contraint d'abandonner et de quitter la France pour l'Arizona. Après des mésaventures et déconvenues, son destin se mêle à celui des Hopis... Puis, l'histoire continue en 2018, dans les montagnes afghanes où Sanjar pratique aussi l'enseignement nomade, surnommé l'université des chèvres. Cette expression apparaît avec Fortuné, un lien semble alors se faire entre les deux hommes. En effet, le professeur afghan doit lui aussi renoncer face aux pressions des Talibans, pour devenir auxiliaire de l'armée américaine. C'est ainsi qu'il croise la route d'Arizona, une journaliste du Phoenix Post, venue en reportage après avoir été mise à l'écart par son journal suite à son traitement des plus virulents des tueries en milieu scolaire et qui est aussi une descendante de Fortuné...
Ce one-shot est d'une rare beauté poétique. Le découpage transporte dans des lieux éloignés, tout en apportant des mises en abîmes utiles au déroulement de l'intrigue. Un grand nombre de planches invitent à la contemplation, apportant une certaine douceur qui prend le contrepied des tensions ressenties. Les paysages, dans leur approche et leur composition, sont magnifiques. La scène d'introduction, par exemple, permet de présenter Fortuné en le suivant pas à pas, comme s'il apparaissait devant nous, avant d'être inséré dans une planche classique. La progression du est admirablement rendue par l'emploi juste de la palette de couleurs. Bref, le traitement graphique est parfait.
L'université des chèvres est une histoire subtile dans laquelle son créateur travaille des thèmes qui lui sont chers. En premier lieu, l'importance du savoir et de sa transmission, quelle que soit la période choisie. C'est le point commun de nombreux personnages, qu'ils soient enseignants ou non. En effet, Fortuné se sent vivant et utile quand il partage son amour du savoir aux filles et aux garçons qui constituent son auditoire. al passion est identique pour Sanjar ou, via l'engagement journalistique, Arizona. Tous trois sont confrontés à des conservatismes qui les conduisent à faire des choix de vie en phase ou non avec leurs convictions. Des clercs ou des paysans des Alpes du XVIIIème aux Talibans du XXème, en passant par les Trumpistes, il y a toujours des groupes d'individus qui croient dans les vertus de l'enseignement quand d'autres y voient un danger. La mise en parallèle est saisissante et fort pertinente de la part de ce scénariste, également enseignant. Transmettre pour permettre à l'autre de s'élever, de s'émanciper relève du sacerdoce et conduit parfois à devoir faire face à des ennemis puissants, agissant parfois au sein même des institutions.
L'école en tant que lieu, voilà le deuxième angle fort de cet album. Perçue comme un sanctuaire pour les enfants par les uns, cette symbolique est combattue par les autres. D'où le fait de déplacer l'intrigue aux États-Unis, pays dans lequel les drames des fusillades sont devenus un fait divers banal. Or, cet endroit dédié aux apprentissages se doit d'être protégé des menaces. Mais comment ? Et comment faire quand il n'y a pas de bâtiment ? La situation de Sanjar s'inscrit en écho de celle de Fortuné pour illustrer le fait que l'école, en tant que lieu de diffusion de la culture, est fragile et peut constituer une cible pour les différents obscurantismes.
L'idée de faire de l'institution scolaire un fil rouge familial est également intéressante, Le rôle joué par la famille est omniprésent, les personnages secondaires comme Nazifa qu' Arizona interviewe lors de son reportage en Afghanistan l'illustrent bien. Rejetée par son père et les autres en raison de ses engagements, elle n'a plus que son jeune frère pour veiller sur elle. Arizona, elle, s'est épanouie et construite grâce au soutien de ses proches et cherche à reproduire ce schéma avec son propre fils. La relation qu'il entretient avec son grand-père est formidablement mise en valeur.
Enfin, le dernier intérêt de l'Université des chèvres réside dans le travail de recherche au niveau de la précision historique. Attention, il ne s'agit pas d'une histoire vraie, mais plausible puisque se basant sur du réel. Le thème de la migration est ainsi traité avec intelligence, tout comme le processus de déshumanisation et de christianisation forcée mis en place par les États-uniens contre les tribus indiennes. Ce qui fait penser à ce qu'ont pu vivre des milliers de jeunes aborigènes en Australie. Cet apport, loin d'être anecdotique, donne une densité supplémentaire au titre, comme le souligne en préface l'éminent Pascal Ory.
Lax offre un conte à la fois beau et tragique, dans lequel l'espoir, aussi mince soit-il, semble être le fil conducteur. Cet album fait voyager les lecteurs à travers le temps et le monde, autour de la puissance de la circulation et de l'acquisition des idées et de la manière dont certaines personnes se lèvent pour lutter contre l'obscurantisme. Un bel ouvrage - le plus personnel de l'auteur ? -, qui reste longtemps en tête après la lecture.
Je ne connaissais pas cette pratique des instituteurs itinérants qui avaient cours au XIXème siècle en France et notamment dans les villages les plus reculées des vallées alpines. On va suivre l'un d'eux dans un parcours tout à fait intéressant.
Je ne m'attendais pas à passer à une seconde histoire se déroulant dans l'Ouest américain avec ce même homme qui se retrouve au sein d'une population indienne. A vrai dire, j'ai été un peu dérouté par cette nouvelle direction du récit.
Il y a un troisième chapitre consacré à une descendante de cet homme qui est une journaliste envoyée en Afghanistan. Elle sera confrontée à un enseignant qui fait la même chose que son ancêtre dans un univers où les femmes essayent de se battre contre une société résolument patriarcale.
Le thème central est l'éducation et l'instruction qui doivent se réaliser afin d'émanciper les populations face à l'obscurantisme. On ne peut s'empêcher de penser à Samuel Paty, cet enseignant investi et aimant son métier, soucieux de leur réussite et apprécié par les élèves qui fut lâchement assassiné et décapité par les tenants de cet obscurantisme. La liberté a été durement acquise grâce aux livres et aux enseignants, il ne faut jamais l'oublier !
On aura droit à une horrible fin qui s'apparente un peu à un fait divers pour le moins marquant. On quitte un pays en guerre. On croit trouver la sécurité dans nos pays occidentaux mais c'est de là où peut survenir des dangers insoupçonnés liés également à une forme de stupidité humaine alimentée par des discours haineux de responsables politiques tel que Donald Trump par exemple pour ne citer que l'exemple dans cette œuvre. Oui, il y a encore beaucoup de travail à accomplir afin de pacifier les esprits.
C'est bien écrit, bien dessiné, mais je suis resté sur ma faim concernant cette "Ecole des Chèvres" car rapidement on quitte cet objet pour se concentrer sur les destins de deux personnages qui n'ont pas forcément à voir (les destins) avec cette école nomade.
Ca reste une BD intéressante, détaillée, mais parfois un peu "fourre-tout".
Quel début ! Quel dessin ! Quelle ambiance ! J'ai adoré les 1ères pages. En fait, je n'avais pas compris que l'on allait changer d'époque, suivre une saga familiale...
Plus le temps et les pages passent, et plus je me détache des personnages. L'ambiance de départ disparait, les couleurs me semblent aussi plus fades (peut-être est-ce volontaire ?).
J'ai l'impression que l'on ne cherche plus à raconter une histoire mais à faire passer un message.
Tant pis, je m'arrête en cours de route. Mais les 1ères pages valaient quand même le coup !
Un très très bel album. Ça peut paraître un peu fourre-tout, les Alpes il y a deux siècles, Donald Trump, l'école, la NRA, les talibans... Mais le fil rouge est bien là, l'éducation, l'humanisme, une très belle histoire pleine d'intelligence et de sensibilité. Et des dessins superbes, avec des mises en page d'une variété et d'une richesse remarquables. A lire attentivement, avant de relire pour le plaisir de feuilleter en tournant les pages.
De la belle ouvrage, pour reprendre une expression découverte dans une école. Christian Lax nous propose une œuvre de grande qualité, qui donne à réfléchir. Les personnages positifs sont quelque peu idéalisés, c'est vrai, et les méchants sont sans nuance, mais quand cela sert un propos d'évidence sincère, servi par le graphisme et par le découpage du récit, on ne peut que recommander cette lecture et retourner admirer les plus belles planches.