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rik Dieter se serait bien passé de ce retour au bercail. Mais il ne peut décemment pas laisser Dinah, sa sœur, enterrer leur mère seule. Malgré les liens distendus qui l'unissent à sa famille, le saxophoniste doué devenu professeur de musique à New-York doit revenir sur les lieux de son enfance. Quitte à s'y perdre...
Depuis les succès de These Savage Shore (2020, déjà chez Hi Comics) et Toutes les morts de Laila Starr (2022, Urban Comics), les titres indés du scénariste Ram V sont toujours guettés avec curiosité. Cette fois, il s'associe à Anand Rk, dont c'est la première publication dans nos contrées, pour proposer un thriller d'ambiance aux allures de mythe de Faust. Que les fans se rassurent, les auteurs ne livrent pas une énième version d'un pacte avec le Diable, ils s'en inspirent légèrement pour livrer un album à la fois prenant et angoissant, dans un style graphique original. Car c'est bien ce qui frappe dès l'ouverture du livre ; le dessin et la mise en couleurs sortent de l'ordinaire. Pour ceux qui sauteront le pas, le voyage s'avérera marquant.
S'éloignant de ce qu'il avait proposé avec Gravity's Wall (Dark Horse Comics, 2020), déjà sur une histoire de Ram V, le dessinateur choisit un trait réaliste que la colorisation de John Pearson vient sublimer. Tantôt dessinées (pour les scènes au présent), tantôt peintes (pour les flashbacks), les séquences, envoûtantes, possèdent une véritable ambiance. À cheval entre rêverie et réalité, souvent à la frontière de la folie, la plongée de Erik dans le passé de sa mère et des clubs de jazz, désarçonne. La musique justement, omniprésente dans la trame, n'est pas exposée outre mesure. Hormis quelques titres de morceaux et des hommages à des pochettes d'albums et de titres des années 50, 60 voire 70, pas d'onomatopée à chaque planche ni d'effets démonstratifs. Les auteurs suggèrent, autant par les compositions, le découpage que par les silences et les attitudes, et cela fonctionne. Le public se fera sa bande son à mesure que le récit progresse et plongera avec inquiétude dans la quête troublante du héros.
Green in blue est une lecture qui ne laissera pas indifférent. Ram V, Anand Rk et John Pearson offrent une plongée dans la psyché de leur personnage entêtante à savourer, évidemment, avec un bon morceau de jazz.
Difficile de rester indifférent sur ce comics. Le dessin parfois "dessin d'archi" parfois flou rehaussé de magnifiques couleurs est rempli d'émotions et de charge mentale pesante et nostalgique. On vit véritablement les émotions de Erik, l'ambiance est quasi charnelle. Je reste sceptique sur les images surnaturelles, qui n'avaient pas forcément besoin d'être. Mais l'histoire est belle et sensible, et ce thème du musicien de jazz frôlant le génie et réussissant à passer le cap -mais à quel prix - est totalement maîtrisé.
Je ne vais pas y aller par quatre chemins, ici nous sommes face à un chef d'oeuvre . J'ai pris le temps de déguster cette lecture sur plusieurs jours, notamment grâce à un Ram V qui excelle dans la narration . Chaque mot, soignement choisit et délicatement posé apporte de la profondeur au récit, le genre d'écriture qu'il n'est pas commun de trouver en comics, qui n'est pas à la portée d'une première lecture, qui ne laisse pas insensible .
Pendant trois jours, j'ai regardé, observé, contemplé chacune des planches dessinées par Anand Rk et colorisées par John J. Pearson . Le style se rapproche d'un Dave McKean (Arkham Asylum) et traduit à merveille ce Jazz fiévreux joué dans des bars à l'air moite et enfumé . Les couleurs subliment le personnage sombrant dans la folie, ou atteignant l'extase selon ce que l'on ressent de ces interventions métaphoriques de monstres lovecraftiens . Une lecture avec laquelle on perd le fil du temps, voire le rapport à la réalité, une sensation étrange de flottement sprirituel subsiste tout au long de l'histoire .
On pourrait facilement faire une comparaison avec "Soul" de chez Disney/Pixar, en version adulte, onirique et horrifique . Le scénario pose la réflexion sur l'abandon de soi afin d'atteindre le génie, la lumière ou encore un plan d'existence parallèle selon votre affinité . Plus matérialiste et réaliste, "Blue in Green" témoigne des conditions de vie de ces artistes dont l'art et le génie sont incompris , où le succès n'arrive que bien trop tard après la déchéance et ont au mieux la mort pour ultime reconnaissance .
Une oeuvre d'art moderne . Signée Ram V 2023 sur mon exemplaire :D . D'ailleurs le bouquin n'est pas en reste avec ce vinyle présentant quelques reliefs au toucher .