V
oilà déjà septante ans que Ray Bradbury a publié Fahrenheit 451, chef-d'œuvre de la littérature contemporaine. Critique de l'avènement des mass medias, l'auteur y imaginait un monde où les livres sont interdits parce que susceptibles de troubler l'ordre public. Tout ouvrage est impitoyablement brulé. C'est la mission exclusive des pompiers, qui n'ont plus d'autre utilité dans une ville où tout est ignifugé. L'idée que leur fonction était à l'origine d'éteindre les incendies leur paraît désormais inconcevable. Guy Montag exerce cette profession depuis dix ans, sans se poser de questions. Un soir, par hasard, il rencontre Clarisse, sa jeune voisine. Cette adolescente fantasque aime flâner sans but, observer la nature et discuter de tout et de rien. Elle va faire vaciller les certitudes de Montag.
Il est toujours tentant de transposer les récits dystopiques littéralement dans notre réalité. Pourtant, ces derniers n'ont pas l'ambition d'imaginer notre avenir, mais plutôt une ligne temporelle alternative. Ils se déroulent dans un présent qui n'est pas le nôtre, même s'il peut y ressembler. Plaquer une grille de lecture trop simple se révèle donc souvent trompeur et les interprétations s'en trouvent tronquées ou entachées de biais. Ainsi, sortir certaines citations de leur contexte peut revenir à prendre l'exact contrepied du propos de l'œuvre.
Fahrenheit 451 imagine un monde régi par l'immédiateté. La vie n'est qu'un enchainement frénétique de la sainte trinité du métro - boulot - dodo. Les loisirs se limitent à la télévision, omniprésente, qui se projette directement sur les murs pour une expérience ultra-immersive, plongeant le téléspectateur dans une famille virtuelle. À force de s'abrutir devant les écrans, à en consommer tout le temps de cerveau disponible, il ne reste plus d'opportunité pour réfléchir. L'illusion de réalité anesthésie l'esprit critique et maintient la population dans une léthargie totale face à une société totalitaire. Les livres risqueraient de briser cet édifice parce qu'ils favorisent la réflexion, et donc la remise en cause de l'ordre établi.
Cette adaptation, précédemment publiée chez Casterman et adoubée par Bradbury lui-même, se révèle une bonne surprise. Son traitement graphique classique et sobre, permet une vision dépouillée, presque datée. Ce parti-pris renforce l'intemporalité du sujet. L'essentiel est de saisir la dimension prophétique de ce classique absolu.
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