N
ew York, 1969. Charlie Winkler n’est pas le genre d’homme qui en impose ou se remarque. Il pourrait être un employé de bureau comme il en existe des milliers à Manhattan, alors qu’il «travaille» en réalité pour Tony Zardella, le célèbre mafioso. Oh, pas un caïd ou un gros bras, juste le gars supposément fiable et discret qui est appelé afin de transporter des valises sans poser de question. Simplement, aujourd’hui n’est pas son jour de chance. Il se fait piquer son attaché-case et son portefeuille en plein Times Square ! Le butin ? Les livres de compte de la Mafia new-yorkaise ! Par sûr que son patron apprécie la blague. Sans compter que le FBI et une belle brochette de représentants de la pègre locale ont eu vent de l’affaire. Les prochaines heures risquent d’être chaudes pour Charlie.
Roman noir et Emmanuel Moynot vont de pair depuis près de quarante ans. En duo avec Dieter, en solo pour de nombreuses adaptations et créations dans le domaine, l’auteur de No Direction (Fauve Polar SNCF 2020) connaît la musique. Pour Cherchez Charlie, il a imaginé un récit choral reprenant à la lettre les préétablis du genre. Généreuse distribution mettant en scène des caractères bien sentis puisés dans cette fin des années soixante, textes narratifs cinglants et un impitoyable engrenage menant à l’inévitable massacre de fin de tableau, tous les éléments sont là et prêts à exploser. Si l’écheveau est classique et plus que rôdé, Moynot a heureusement su pimenter son scénario grâce à une foule de détails probants. Rappels historiques d’une époque commençant à se déliter, personnages à la psychologie étudiée et même quelques notes d’espoir pour l’espèce humaine (pas trop, il ne faut pas exagérer non plus), la lecture s’avère riche, prenante et, comme de coutume, sans concession.
Bas-fond et criminels de tout acabit, une approche brut de décoffrage en noir & blanc semblait toute indiquée. Surprise, le dessinateur a préféré la couleur et pas qu’à moitié. Teintes psychédéliques, jeu de distanciation entre protagonistes et décors rappelant certains dessins animés de cette période : l’ambiance lorgne davantage vers le Technicolor ou le Kodachrome que les films de Samuel Fuller ou Phil Karlson. En outre, le trait, plus souple qu’à l’habitude, souligne l’atmosphère faussement libertaire et renforce le ressenti de ces ultimes mois du Flower Power. Les seventies sont déjà là, la violence et les œuvres d’exploitation également.
Leçon de construction dramatique, choix esthétique radical justifié et abouti, Cherchez Charlie réussit la gageure de respecter les règles du roman noir ainsi que son contexte historique, tout en y insufflant une modernité incroyable. Joli tour de force, Mister Moynot.
Poster un avis sur cet album