D
ans le train qui les conduit à Nantes, Clara raconte son parcours à Klervi, paysanne bretonne qu’elle a tirée du trottoir. Elle passe en revue la Guerre de Sécession et le départ de Louisiane, le séjour à Londres, puis son arrivée à Paris. Les voyageurs ne manquent pas de lancer des quolibets sexistes, auxquels les deux compagnes répondent avec à-propos et fermeté. La narratrice évoque son mariage avec Quentin, un photographe, son petit frère, Nano, qui part sur les mers, et sa rencontre avec le médecin Lukaz. Elle se souvient de ses lectures de Marx et Bakounine, la politique et l’engagement. Le récit se fait de plus en plus détaillé alors qu’il se rapproche du mardi 23 mai 1871, le jour où la vie de Clara a définitivement basculé. Les événements de La Commune duraient depuis soixante-sept jours, lorsqu’un jeune homme blessé, fuyant les représailles des Versaillais, a trouvé refuge chez elle. Il a été débusqué et exécuté, Clara violée, son bébé tué. Quelques instants ont suffi à la broyer et à l’enclore dans l’indicible.
François Bourgeon achève le cycle des Passagers du vent, quarante-trois ans après sa prépublication dans Circus. Avec ce neuvième tome, il reprend ses personnages là où il les avait laissés à la fin de l’épisode précédent, dans le Paris-Orléans quittant la capitale. Clara pense alors pouvoir se retourner candidement sur sa trajectoire, estimant bouleversements et coups du destin derrière elle. La suite lui montrera qu’elle se trompe. Son autobiographie parlée, derrière laquelle se cache l’historien Bourgeon, entraîne alors le lecteur vers une errance glaçante, emplie de détails, de sentiments et d’anecdotes. Les planches traînent ainsi ses figures de Montmartre au camp de Satory, de l’abbaye d’Auberive à La Rochelle, pour rejoindre enfin la Nouvelle-Calédonie, terre désolée, port d’accueil des forçats.
La narration entremêle disputes, amitiés, espoirs, humiliations, discussions politiques, mœurs de marins. C’est la vie quotidienne de Clara, de Marie, de Louise Michel, figure tutélaire et caution, à la fois idéologique et historique. Bourgeon montre des prisonnières, dans leur intimité de déportées, passant d’une souffrance à l’autre, sans jamais perdre ni dignité, ni conviction. Le point de vue est explicitement engagé : la Commune contre Versailles, les femmes contre les hommes, le pacifisme contre la violence, les Canaques contre les colons. Il s’agit cependant plus d’un éclairage à rebours que d’un militantisme débridé. Voyez et faites-vous une idée. La précision de la reconstitution (dates, idées, vêtements, objets, langues et patois) tend à l’objectivation et laisse l’émotion à l’écart.
Le dessin travaille le même effet : chacune et chacun est expressif, mais dans la retenue, sans sur-jouer le rôle. Les faits sont suffisamment tragiques eux-mêmes pour éviter de dramatiser encore plus. À l’image de la couverture de l’album, c’est une forme de sérénité qui se dégage de cet univers intenable. Bourgeon a compris qu’une fois débarrassé de ses passions, l’homme peut commencer à réfléchir, pour lui-même et pour le collectif.
Le Sang des cerises est ambitieux et atteint tous ses objectifs : il raconte une merveilleuse histoire, il pose des questions fondamentales, il adopte le ton juste, ni professoral ni débridé. Chaque case est pensée comme une gravure, une toile, un acte contre l’oubli. La haute tenue littéraire de l’œuvre la fait sonner comme des pages oubliées de Vallès ou de Zola. Voilà une pierre essentielle pour tâcher de structurer l’édifice toujours branlant de notre mémoire et de notre conscience collective.
Série mythique, saga révolutionnaire, un plaisir de lecture du tome 1 dans années 80 à cet ultime épisode, 40 ans plus tard. Grandiose.
Je mets 3 étoiles pour le point final de cette série qui aura toujours une place particulière dans ma bédéthèque.
Cet ultime tome est un pavé.
Je suis en accord avec les avis précédents, dans une partie du récit (surtout en ouverture) les dialogues ne servent qu'à narrer ce qui s'est passé avant et donner un cours d'histoire sur la commune.
J'ai apprécié le passage sur la Nouvelle-Calédonie.
"Nous rêvions d'une République pour nous libérer de l'Empire, on nous offre une république affairée à bâtir un empire colonial" Lukaz
Les deux premiers cycles nous racontaient une histoire dans l'Histoire avec un grand H. Celui-ci, malgré les quelques planches avec Clara-Zabo et Marie n'est qu'un prétexte pour nous infliger, si documenté soit-il car ce n'est pas ce qu'on est venu chercher et le texte est trop omniprésent, un cours d'histoire de France de 1870 à 1880. Sans compter le coup de théatre final digne d'une série américaine, et le point d'interrogation posé à la pénultième page. Dommage, car le dessin et les ambiances sont toujours aussi magnifiques. 10/20.
Je rejoins assez bien les critiques des lecteurs qui, sans réelle déception, se questionnent entre la densité historique pas tout à fait nécessaire et le souffle du récit qu'on cherche un peu. C'est beau de conclure cette incroyable série mais j'aurai tant aimé m'envoler.
J'ai trouvé un peu longuet ce cours magistral sur la Commune qui 'casse' le rythme du récit.
Reste des personnages forts et denses magnifiés par le dessin splendide et tout en réserve à la fois. Hors cours d'histoire, le rythme si particulier des récits de Bourgeon est toujours poétique mais encré dans la réalité dure de ces vies malmenées. Ca reste selon moi de la grande BD, un peu loin de la Fille sous la dunette... Quelle série! Merci Monsieur Bourgeon.
Dommage de clore cette formidable épopée sur un album aussi confus et trop partisan (les "bons" et les "méchants" tous caricaturaux).
Loin des critiques dithyrambiques, j'ai trouvé le temps long à lire cet ultime album.
Même si on connait le sens du détail historique de Bourgeon, j'étais venu lire une BD et pas un cours sur la Commune de Paris, les horaires des trains pour la Bretagne ou l'organigramme des matons du bagne de Cayenne.
C'est par moments ennuyeux, parfois avec un texte ronflant, inutilement long de détails à l'intérêt limité (vu de moi!). Et le dessin ne suffit pas à rendre passionnant un scénario finalement bien faible.
J'ai trouvé dommage que, graphiquement, on ne constate pas la différence d'âge entre les deux héroïnes (Zabou et Klervi). Ca retire un peu de réalisme à l'histoire et m'a perdu par moments.
J'avoue avoir toujours du mal avec les fins dans les séries que j'ai aimées. Donc c'est sans doute de ma faute, mais celle-là m'a semblée particulièrement insipide.
A noter que j'ai relu le Livre1 (puisque sorti il y a 4ans) avant de lire celui-ci. Ca peut avoir son intérêt mais n'est pas indispensable. Par contre, ça a pu contribuer à ce sentiment de saturation que j'ai eu à la lecture de ce volume.
Au delà ce cet opus, pour moi un peu raté, un grand Merci à Monsieur Bourgeon pour cette série exceptionnelle qui m'aura accompagné sur une longue période de ma vie! Toute ma reconnaissance.
Ce n'est pas le plus grand des albums de Bourgeon. Certes. Mais il y a quand même un joli pincement au cœur en refermant la désormais ultime page de cette série de légende. Et ça aurait été dommage de s'en priver.
Côté scénario j'ai trouvé le cours d'histoire sur la Commune un peu lourd à digérer. Mais pour le reste ça passe bien. Bourgeon trouve des accents à la Tardi pour décrire massacres et injustices, nous fait découvrir la Nouvelle-Calédonie époque bagne et déportations, multiplie les clins d’œil au premier cycle de la série, retrouve la mer et sa Bretagne bien aimée, ainsi que ses magnifiques héroïnes toujours libres, idéalistes, féministes et résilientes. Une petite pirouette scénaristique pour boucler le tout, pas forcément très crédible mais qui a le mérite de clore définitivement la saga. Et tout ça en jonglant entre argot populaire et langage choisi et poétique où il excelle, souvent avec ironie.
Quant au dessin... quel bonheur de retrouver Bourgeon et son obsession du détail et de la documentation, les bâtiments, les costumes, les objets, les animaux, les perspectives, les paysages, les visages parfois un peu approximatifs mais si caractéristiques. Et pour boucler la série, retour à la mer, aux vagues et aux bateaux. La première planche du premier tome démarrait sur un albatros...
Alors oui, ça valait le coup de se replonger une dernière fois dans cet univers historique, et de lui donner une fin digne de ce nom et globalement à la hauteur. Merci monsieur Bourgeon.