J
ean-Louis et sa famille profitent pleinement des vacances, du beau temps et de leur balade en roulotte, entre rires, chants à tue-tête, partie de « chairball » et gavage de mûres. Gilles, onze ans, a la bougeotte. Plutôt que de rester allongé après avoir pris un vilain coup sur la tête, il se faufile auprès de son ainé qui tient les rênes et le taquine en serinant un air de Fugain. Lassé, le feu follet entreprend de descendre pour continuer à pied, retenu d’une main par Jean-Louis. Un bruit sourd ; un véhicule vert qui trace sans s’arrêter. Sur le bitume, le gosse git dans une mare de sang. Les cris fusent ; chacun est hébété. Tard cette nuit d’août 1976, Gilles s’éteint. Pour ceux qui restent, le deuil commence. Long, pénible, déchirant.
Privés d’un enfant, d’une sœur ou d’un frère, trop tôt emportés, certains voudraient les appeler « papange », « mamange » ou bien « frérange » pour signifier cette perte, la rendre concrète, condenser en un mot tout le poids d’une relation tronquée abruptement. Après des années à porter ce dernier sur ses épaules sans s’épancher, Jean-Louis Tripp (Extases, Tu ne tueras point, Magasin général) raconte, en plus de trois cent quarante pages, l’événement tragique qui a bouleversé son existence et celle de tous les siens, l’été de ses dix-huit ans : la mort brutale de son cadet.
L’auteur s’attache aux détails pour reconstituer la trame, peindre une toile aussi précise que possible, en s’appuyant sur ses réminiscences et celles de son entourage. Les fragments s’imbriquent, les témoignages des autres corroborant et complétant les siens. Le ton est donné dès l’ouverture et l’intensité monte crescendo, en même temps que l’émotion. Le basculement de l’insouciance d’une journée estivale au drame est un premier uppercut. D’autres suivent, au rythme du vécu : l’attente terrible à l’hôpital, la pénible annonce, les démarches à effectuer et les obsèques. À chaque étape, émotion et douleur s’avèrent palpables et résonneront chez le lecteur. L’immersion noue la gorge et crispe les entrailles. Pour autant, l’album évite la submersion, en ménageant des respirations bienvenues qui permettent de faire retomber la pression, l’espace d’un instant. Par ailleurs, le bédéiste montre également avec justesse comment chaque membre de la famille a abordé ce deuil, ainsi que le sentiment de culpabilité propre à chacun et prenant des formes différentes. Il n’oublie pas, non plus, de répondre à la question qui taraude : et le conducteur qui a fauché Gilles et pris la fuite ? Sur ce point encore, il parvient à transmettre l’affreux ressenti et la désillusion des survivants.
Histoire d’un deuil familial et personnel, Le petit frère est de ces albums percutants qui ne laissent pas indemne. À lire absolument.
Lire la preview.
Jean-Louis Tripp réussi avec brio à raconter le deuil au travers d'une œuvre riche et profonde. Avec un dessin simple, il donne aux personnages un souffle très humain. Et la capacité de la BD et de l'image à capter un instant comme une photo nous prend au cœur. Chaque processus de deuil est différent mais je trouve que Jean-Louis Tripp a réussi a mettre la main sur une sincérité propre à tous les deuils, bien que tous uniques et différents. Jean-Louis, au travers de la mort de son petit frère célèbre la vie, malgré sa noirceur. Il redonne un souffle nouveau, une manière d'avancer vers quelque chose de positif et constructif.
J’ai de plus en plus de mal avec des auteurs qui nous font partager leur souffrance comme pour se faire du bien en évacuant certains traumatismes à la manière d’une thérapie par l’écriture. L'écriture de ses pensées et de ses sentiments permet de régler des problèmes personnels et surtout d'avoir une meilleure compréhension de soi.
Je sais bien que la BD traite parfois de sujets tristes voir tragiques. Encore faut-il que l’œuvre soit irréprochable ! Or, c’est bien le cas en l’espèce. Cependant, je vous préviens d’avance : vous allez pleurer de toutes les larmes de votre corps !
L'absence d'un frère se fait généralement ressentir tout au long de la vie de notre auteur Jean-Louis Tripp, assez connu pour être le dessinateur de la série « Magasin Général » avec Régis Loisel. Il revient sur un accident de voiture qui est intervenu en 1976 soit il y a près de 45 ans et qu’il n’a malheureusement jamais oublié puisque la vie de son jeune frère Gilles âgé de seulement 11 ans a été emporté par un chauffard sur une route de Bretagne.
Lorsque l’on vit un deuil, les mots font souvent défaut pour décrire ce que l’on ressent. Je pense qu’il a fallu beaucoup d’année à l’auteur pour digérer ce deuil et le décrire en image. On voit qu’il y a mis toute son âme et c’est très beau.
Lorsqu’on a perdu quelqu’un de proche, on ne peut rester insensible à ce terrible drame qui arrache des êtres aimés. Il y a une cruelle injustice quand ce sont de jeunes gens qui sont fauchés par la mort. Comment accepter cela et trouver la force de vivre, de continuer ? Cette déchirure est incommensurable. Voir son enfant partir le premier est l’épreuve la plus cruelle à affronter pour un parent. Pour un frère également. On n’ose pas imaginer la douleur et le chagrin de cette tragique épreuve.
Les accidents mortels de voiture sont fréquents dans notre pays. A un moment donné, il y avait plus de 18.000 décès par an. La sécurité routière a eu pour effet en quatre décennie de faire baisser le nombre de victime alors que le trafic routier a été multiplié par deux. En 2022, près de 3500 décès. La majorité des accidents mortels ont lieu sur les routes de campagne.
Il y a un passage sur l’indemnisation des proches des victimes d’accident de la circulation. Il est vrai que les sommes d’argent proposées sont dérisoires face à la perte de l’être cher qui n’a pas de prix. Et puis, c’est assez indécent de voir les avocats se disputer les montants pour faire gagner de l’argent à leur client.
J’éprouve également de la répulsion par rapport à l’auteur du délit de fuite qui s’en tire plutôt à très bon compte sans éprouver le moindre gramme de culpabilité. Ces gens qui tuent sur la route passent vite à autre chose et se disent que ce n’était qu’un accident. Oui, mais c’est bien lui qui tenait le volant et qui a brisé la vie de toute une famille à cause d’une conduite à vitesse excessive.
C’est une société sans responsabilité où les assureurs vont de toute façon payer à la place du conducteur. Le verdict que je ne dévoilerais pas est à l’image de l’impunité qui sévit dans notre pays pour ces infractions routières.
Par la mort, la famille ne se détruit pas, elle se transforme. C’est ce qui va arriver à cette famille dont chacun des membres va éprouver de la culpabilité. Si je lui avais tenu plus fermement la main, si je n’étais pas parti en vacance en Bretagne, si je l’avais laissé chanter plus longtemps, si je n’avais pas souhaité sa mort dans un accès de colère etc…
Passé la période de deuil, la famille devra affronter le procès mais également une lente reconstruction. J’ai bien aimé le fait que toutes ces étapes soient présentes entre le traumatisme, le deuil ainsi que le recul nécessaire par la suite sous forme d’acceptation. L’auteur a pris le choix de nous raconter l’accident et ses conséquences et non la vie d’avant que l’on pouvait de toute façon percevoir dans les instants qui ont précédé le drame.
Fort heureusement, il y aura un beau message final qui peut se résumer ainsi : Être fidèle à ceux qui sont morts, ce n’est pas s’enfermer dans la douleur. Certes, on l’a souvent entendu mais on a sans doute besoin de le ressentir vraiment. Être fidèle à ceux qui sont morts, c’est vivre comme ils auraient vécu. Et les faire vivre avec nous.
Le dessin semi-réaliste est tout simplement assez magistral notamment dans l’utilisation du trait noir qui domine. Le graphisme sert très bien le récit en lui apportant la nécessaire dimension émotionnelle. Le soin apporté à chaque planche est remarquable. On remarquera également le retour de la couleur en fin d’album. On ne peut qu’être en admiration devant ce travail impeccable. Même la forme est une indéniable réussite.
Au final, le témoignage de Jean-Louis Tripp nous permet de nous situer nous-même par rapport à ce type de drame. Evidemment, je n’ai pas été insensible en ayant beaucoup de peine, en se remémorant également de mauvais souvenir qu’il est nécessaire parfois de se rappeler pour pouvoir continuer à avancer sereinement.
Il y a de la force ainsi que beaucoup d’émotion dans cette œuvre poignante et magnifique qui retranscrit avec une profonde sincérité des événements tragiques qui peuvent tous nous toucher. Sans aucune hésitation, je mets 5 étoiles.
Bouleversant, c'est le mot qui collera le plus à ce récit... Un récit viscéral, cathartique certainement pour Jean-Louis Tripp..
Un livre qu'on ne peut pas lâcher, malgré les émotions (fortes hein...) qui, même si on peut penser qu'elles feraient plonger dans un pathos inconvenant, nous font plutôt réfléchir à comment cet état de déchirement fait basculer des vies entières, avec toute la palette des autres émotions, parfois contradictoires (ou actions contradictoires comme l'auteur les avoue) qui tantôt font resurgir et revivre le trauma, tantôt tomber dans une culpabilité tenace et indicible.
Un livre exigeant, mais nécessaire.
Suivant son parcours personnel, il sera sans doute plus ou moins lacrymal. Et la fin qui est tout autant le début du livre, sans en dire plus, je rejoins Jaune, c'est... Oh là là.
Merci Jean-Louis Tripp.
Jean Louis Tripp continue de m'étonner. Après "Extases", où l'auteur s'était mis littéralement à nu, il nous offre un nouveau livre autobiographique déchirant avec "le petit frère", un drame qu'il a vécu à 18 ans avec la mort de son frère, Gilles.
C'est une de mes lectures les plus émouvantes et poignantes de cette année.
A travers près de 330 pages, nous suivons une famille recomposée et aussi déchirée , par le deuil d'un jeune enfant, mais surtout la culpabilité ressentie par Jean Louis Tripp avec cette main lâchée, main qui reviendra comme un leitmotiv dans ce récit.
L'auteur restitue parfaitement ce drame de cet été 1976, avec ce décalage avec un pays en grandes vacances: "les gens étaient heureux. Et nous , avec notre convoi funéraire, on était presque déplacés", écrit -il.
Avec cet album, Jean Louis Tripp a choisi le dessin en noir et blanc sur I-pad, ce qui ne nuit nullement à la qualité graphique.
Seules quelques planches en couleurs , vers la fin de l'album, viennent apporter un brin d'optimisme, comme si Jean Louis Tripp avait enfin tourné la page, et s'était enfin apaisé.
Un album très fort, et qui rejoint dans mon panthéon personnel un album aussi fort dans l'émotion que "le journal de mon père" de Taniguchi..
Bref, un petit chef d’œuvre à lire et à relire.