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ui sommes-nous, d’où venons-nous et où allons-nous ? Ces questions philosophiques classiques taraudent l’humanité depuis la nuit des temps. Celles-ci peuvent également s’aborder sous l’angle des sciences : reproduction, évolution, sélection. Après des siècles de tâtonnements mâtinés de superstitions diverses et religieuses, les progrès fulgurants de la génétique permettent aujourd’hui de mieux appréhender ces problématiques essentielles. Une discipline récente, la génétique-évolutive du développement (Evo-Devo) tente de décrypter et d’expliquer les moteurs intimes des premiers instants de la vie. Comment l’unique cellule, fruit de la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde va-t-elle, en quelques jours seulement, se transformer en fœtus, puis en un organisme complexe - fait de vaisseaux sanguins, d’un système nerveux, d’organes et de membres -, pour finir de former un homo sapiens fonctionnel (ou n’importe quelle autre bestiole) ?
Pierre Kerner et Max Sandon tentent de résumer les dernières avancées du domaine de l’Evo-Devo dans L’Odyssée évolutive. Avant tout, un avertissement : le sujet est vaste et, même résumé et vulgarisé à l’extrême, il demeure touffu et gigantesque. Heureusement, les auteurs ont su trouver un discours parlant et des images pertinentes.
Après un accident malheureux, le code génétique du futur Ulysse se retrouve endommagé et les trois Moires (les «tisserandes» chargées de veiller sur les fils des destins dans la mythologie grecque) sont obligées de reconstruire la substantifique moelle du célèbre héros d’Homère. La tâche est délicate et afin d’éviter une erreur tragique, ces assistantes des dieux doivent remonter aux racines de l’arbre évolutif global dans le but de retrouver les formes primitives de chaque caractéristique biologique. Vous êtes un peu perdu ? C’est normal, un petit texte introduit chaque chapitre et permet d’y voir plus clair. Bientôt, LUCA et LECA, gastrulation, neurulation et placentation n’auront plus aucun secret, idem pour les mystères des convergences évolutives et des homologies partielles.
Pour faire passer la pilule, de nombreuses notes d’humour rythment l’exposé et d’innombrables exemples concrets sont proposés. Les dessins, aux couleurs un peu sombres au demeurant, se montrent efficaces et, quand il s’agit de schémas plus techniques, précis et parfaitement lisibles. Max Sandon se démarque particulièrement avec plusieurs planches et double-planches ouvertes d’une très grande beauté formelle. Il démontre au passage, avec un brio certain, qu’il est amplement possible d’associer liberté artistique et rigueur scientifique.
Exigeant, intellectuellement revigorant et visuellement percutant, L’Odyssée évolutive n’est pas une lecture facile, loin de là. Par contre, la qualité des dialogues et des récitatifs et l’excellence tenue graphique rendent l’exercice passionnant et, cela va sans dire, hautement instructif. Assurément une nouvelle réussite de la très recommandable collection Octopus des éditions Delcourt.
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