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ouronné "plus grand athlète de la planète" lors des Jeux Olympiques de Stockholm en 1912, Jim Thorpe (1887 – 1953) fut le premier Amérindien à gagner une médaille en plus d’être un joueur de football américain renommé. Né au sein d’une réserve dans ce qui allait devenir l’État de l’Oklahoma, sa vie souligne aussi le sort réservé aux non-blancs par les USA de l’époque. Victime du génocide culturel en cours à cette période, il a été placé dans un pensionnat où tout était fait pour éradiquer les racines – langue, tradition, savoir - des enfants. Il arriva à s’en sortir et survivre grâce à une forme physique incroyable et une personnalité dotée d’un moral de tous les instants. Son talent et ses innombrables victoires lui permirent de briller un temps. Cependant, cet aura ne dura guère et, une fois ses exploits passés, il disparut rapidement des mémoires et mourut dans la misère.
Avec Jim Thorpe, c’est un personnage peu connu du grand public européen qui fait son entrée dans la collection Coup de Tête. Kevin Lecathelinais, Emmanuel Michalak, Georges Chapelle et Mélissa Faidherbe se sont mis à quatre pour raconter cette destinée hors du commun sise à cheval entre XIXe et XXe siècles. Son origine amérindienne permet également de soulever un coin du voile sur une partie honteuse et largement oubliée de l’histoire contemporaine des États-Unis. Le généreux biopic alterne des épisodes mettant en scène les coups d’éclats du sportif avec des réminiscences de son enfance d’avant son placement forcé. Ce dispositif narratif s’avère habilement pensé. Même si les autorités ont essayé d’effacer son passé, Thorpe a su conserver ce qui faisait son identité et son abnégation. Courir après un ballon n’est pas si différent qu’une cavalcade à travers les bois sur la piste d’un lièvre finalement.
Agréablement construit et illustré, l’album se lit avec un réel plaisir, même si un peu plus de réalisme ou de rigueur ici ou là (le passage dans la maison d'éducation ou la violence du racisme, par exemple) auraient certainement apporté plus de force ou de ressenti aux propos. Cela dit, les auteurs ont réussi à très bien cerner tant le caractère unique du héros de l’heure que le monde du sport à l’aube de sa professionnalisation à outrance. Sur le plan purement visuel, les moments sportifs sont à relever, le découpage tendu et les angles de vue judicieusement placés retranscrivent adroitement la tension et les efforts.
Vif, glorieux et tragique, Jim Thorpe est une très bonne lecture équilibrée et parfaitement documentée.
La découverte d'un nouveau scénariste qui a pris le temps de se documenter et de nous faire découvrir, à travers les débuts du football américain, le côté sombre de la colonisation américaine. L'histoire vrai d'un homme qui se bat pour rester indien dans un monde de blancs. Un destin !
Le graphisme est en accord avec le texte, net et précis.
Le supplément est le bienvenu pour mieux appréhender les dessous d'une époque tumultueuse qui ne laissait guère de possibilités d'exister à ceux qui n'ont pas été les vainqueurs de la conquête de l'ouest.
J'avoue que si mon libraire ne m'avait pas conseillé cet album, je ne l'aurais jamais lu car ni le graphisme (à la papa), ni le thème (le foot américain en particulier et le sport en général) ne m'auraient donné envie de franchir le cap de la 1ère de couverture.
Et bien m'en a pris de l'écouter car je me suis laissée happer par l'histoire - vraie - de cet Amérindien (Jim Thorpe, donc) qui est, effectivement, une légende dans l'histoire du sport américain au début du XXè siècle et plus encore du football américain.
Car d'abord c'est un enfant que l'on découvre, dans la forêt, avec son frère (son jumeau) et tout de suite on comprend que ce petit bout d'homme, bien dégourdi, a des capacités physiques hors-normes.
Et ensuite, au fur et à mesure qu'on le suit dans son parcours, c'est bien un jeune homme hors-normes qui excelle dans différentes disciplines sportives que l'on voit, mais surtout un Amérindien qui connaît le destin que les USA ont réservé à son peuple.
Le dossier à la fin de l'album est vraiment le bienvenu car on en apprend un peu plus sur l'histoire de Jim Thorpe, et à travers lui sur le traitement du peule Amérindien par les institutions étasuniennes à cette époque :
des enfants séparés de leur famille et envoyés dans des écoles afin de "régler le problème indien", c'est à dire d'éradiquer leur identité. Un véritable génocide culturel organisé par ces instituions à l'instar de l'école de Carlisle qui a accueilli Jim Thorpe comme plus de 10 000 enfants pendant près de 40 ans et les a exploités en les envoyant travailler dans des fermes, en contrepartie d'un salaire de misère. Beaucoup subissaient des violences et mouraient dans l'enceinte de l'école.
Nous sommes donc plongé.e.s dans cette Amérique qui considère l'Indien comme un sauvage, veut "tuer l'Indien pour sauver l'homme" et n'accordera la citoyenneté aux Indiens qu'en 1924.
Et l'on découvre en particulier que le match de baseball de novembre 1912 qui oppose l'équipe de Thorpe à celle de l'école militaire de West Point (dirigée par Eisenhower, futur président du pays) est vue par certains de ces apprentis soldats comme l'occasion de prendre leur revanche sur la défaite de Custer contre les hommes de Sitting Bull à Little Bighorn ... qui a eu lieu en 1876...
Qui osera encore dire que "le sport n'est pas politique" !!