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écédé en 2013, Stéphane Hessel a laissé derrière lui un manifeste de combat intellectuel devenu un best-seller incontournable, lu et étudié dans de nombreux pays : Indignez-vous ! Hélas, tout ce qu'il avait craint pour les générations à venir est en train de se réaliser : domination de la globalisation financière, sur-consumérisme, destruction des libertés en toute légalité... Alors, que peut apporter cet album de plus que le texte d'origine ?
Tout d'abord, cette bande dessinée n'est pas une adaptation du pamphlet. Il s'agit davantage d'un complément sur sa genèse et son succès jusqu'au décès de l'ancien résistant. C'est pourquoi, ce one-shot n'est pas non plus une biographie de Stéphane Hessel, même si le scénario passe par un rappel des évènements marquants de sa vie qui ont eu une importance considérable sur son parcours et son élaboration intellectuelle.
Ainsi, les lecteurs (re)découvriront comment ce jeune homme est devenu résistant et a travaillé pour le BCRA de la France Libre, avant de revenir sur le territoire métropolitain en 1944 et de se faire arrêter puis torturer. Ensuite, le récit se poursuit avec son périple dans les camps et son évasion réussie jusqu'à sa fonction dans la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.. La dernière partie est consacrée à la parution d'Indignez-vous !, sa présentation dans les médias, sa critique par des intellectuels de droite garants du sarkozisme de l'époque (Assouline, Ferry, Fillon...) et son expansion en dehors de la France et les rencontres qui ont suivi.
Le scénario est construit savamment afin d'éviter les pièges de la biographie classique. Ce titre commence par une mise en abîme, qui permet donc d'explorer le passé de Stéphane Hessel, puis de revenir à l'année de la parution du petit livret et de continuer jusqu'à la mort de son auteur. Frédéric Debomy est un habitué de la bande dessinée politique et sociale. Ici, il use de tout son talent pour livrer l'histoire de ce succès éditorial et de la pérennité du message sartrien qui s'y trouve, tout en montrant qu'au crépuscule de son existence, cet éternel rebelle tirait une sonnette d'alarme qui trouve dont l'écho résonne encore dans l'actualité brulante. Choqué par la trahison des politiques envers les valeurs humanistes de la résistance, il souhaitait élaborer une nouvelle forme d'engagement et invitait les jeunes à trouver leur motif d'indignation et à se battre pour celui-ci. L'écriture intelligente et bienveillante de ce récit est admirable.
L'aspect visuel est fortement appréciable. Le trait et le choix de couleurs de Lorena Canottière sont excellents car ils apportent une touche de poésie venant assouplir les différents contextes vécus par M. Hessel. De plus, elle oscille entre une mise en page tantôt classique et une autre plus aérienne où les couleurs prennent le dessus, livrant des planches admirables à contempler. Par exemple, la manière dont elle met en image la mort de l'ancien diplomate est d'une beauté saisissante : elle déstructure les lignes de la première case, représentant un gros plan sur les mains et le genou du vieil homme, de manière progressive pour aboutir à un paysage. Son style tout en douceur est un avantage pour cet album.
Indginez-vous! La violente espérance de Stéphane Hessel revient sur l'histoire de l'ouvrage et sur celle de son auteur avec de nombreux détails, sans être difficile à lire, grâce aux talents combinés des auteurs. De plus, il comporte, à la fin, de nombreuses notes de bas de pages et une chronologie détaillée et illustrée .des faits évoqués. Cette bande dessinée peut tout aussi bien être un ouvrage de culture générale, un complément du livre (paru chez le même éditeur), tout comme un outil pédagogique intéressant pour des lycéens. Bref, une bande dessinée d'utilité publique de par son message intemporel.
Après les Insoumis, il s'agit de s'indignez. Moi, je dis qu'il est facile de manipuler l'opinion public pour nous présenter parfois des situations manichéennes. On peut très vite se tromper sur les choix parfois politiques qu'on peut faire au cours d'une vie.
Certes, parfois, il s'agit de véritablement s'indigner contre des crimes atroces pour l'Humanité afin d'inscrire cela dans un marbre pacifique au cri de « plus jamais ça ». Ainsi, on pourra par exemple s'indigner contre le sanglant dictateur Poutine et ses sbires de Tchétchénie ou de Biélorussie sans compter ses précieux allés que sont la Syrie, l'Iran et surtout la Corée du Nord.
Bref, nous avons toutes les raisons dans ce monde de s'indigner et de nous plaindre à longueur de journée. Mais bon, on se plaignait bien des Jeux Olympiques en France qui ont été un formidable succès. Parfois, il s'agit juste de prendre un bol d'air frais et un peu de recul.
Pour autant, passé ces considérations assez puériles, il convient d'élever un peu le débat pour savoir de quoi on parle au juste. En effet, tout semble partie d'une pétition contre une législation qui parle d'un délit de solidarité comme si les bonnes valeurs humaines pouvaient être sanctionnées par la loi.
Le discours d'un ancien résistant à savoir Stéphane Hessel, âgé de 93 ans. Il est vrai que résister, c'est refuser parfois d'accepter le déshonneur. Il s'agit de s'indigner quand quelque chose qui est proposé n'est pas conforme aux valeurs fondamentales sans quoi notre humanité peut péricliter. Ce vieux résistant a été indigné par le nazisme. Nous pouvons tout à fait être indigné par autre chose qui s'en rapprocherait par exemple.
On va suivre son parcours pendant la Seconde Guerre Mondiale où il sera arrêté et mis dans un camp de concentration. C'est également intéressant de le voir évoluer après la fin de la guerre au ministère des affaires étrangères.
Du politique, on passe également à l'économique dans un monde où le pouvoir de l'argent n'a jamais été aussi important en creusant d'autant plus les inégalités entre les riches et les pauvres. La société semble remettre en cause les acquis sociaux comme la retraite ou la Sécurité Sociale devant la pression presque insensée d'une économie globalisée. Bref, il faut veiller à sauvegarder ces valeurs fondamentales également dans le domaine du social.
Il reste également les partisans de ceux qui ne veulent pas que cela change car c'est dans leurs intérêts. Ils invoquent la lucidité dans un monde complexe et réclame une exigence intellectuelle légitime avant d'acter. L'indignation ne fait pas partie de leur vocabulaire bien au contraire.
Cependant, ce mouvement semble s'être étendu dans le monde entier que cela soit en Ukraine, au Chili, en Tunisie lors du printemps arabe ou encore au Japon. Oui, il y a véritablement une dimension internationale car ces valeurs sont universelles ce qui permet de déjouer l'argument nationalistes de certains Etats qui pourraient décider de commettre des atrocités sur leur sol.
Graphiquement c’est assez charmant, le trait est fin et les décors bien détaillés. La colorisation fait bien ressortir tout ce côté un peu crayonné.
Pour le reste, cette BD nous permet d'ouvrir un peu les yeux et de donner des pistes pour un combat pacifique visant à sauvegarder les valeurs essentielles. Bref, les dangers sont bien connus : le nationalisme, l'islamophobie et l'antisémitisme.