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'année 1996 voit un Fabrice Neaud presque apaisé. Le premier tome de son journal va paraître et, s'il est anxieux de l'accueil qui lui sera réservé, il reste convaincu de sa démarche. Cette autobiographie, qui n'en est pas vraiment une littéralement parlant, demeure un exercice fondamental au sens artistique du terme. Prenant son quotidien comme support, le narrateur se livre par petites touches, abordant les sujets qui le préoccupent, des plus triviaux et aux plus philosophiques.
D’un « chapitre » à l’autre, il saute allègrement du coq-à-l'âne. Comment marcher avec légèreté avec des docs Martens et ne pas importuner ses voisins du dessous ? Qu’est-ce que la pudeur ? Quelle dynamique observe-t-on dans un groupe de potes ? L’art peut-il être populaire ? Autant d’interrogations qui se mélangent avec le récit d'un séjour à Bruxelles pour un festival de bande dessinée alternative, une discussion avec une lectrice qui se demande si elle sera dans le prochain tome ou un exposé de Denis Bajram, dissertant avec passion de l'art de Jim Starlin et John Byrne. Puis, bien sûr, il parle des hommes, assumant son regard prédateur sur le corps (et le cul) des hétérosexuels.
Tout à tour contemplatif, cynique, introspectif... toutes les facettes de sa personnalité sont exposées. C'est un grand écart permanent d'un individu dont la personnalité complexe n'est pas sans rappeler certains traits prêtés aux personnes à haut potentiel. le résultat est passionnant, même s'il se révèle parfois fatigant à la longue. Ce journal se picore plus qu'il ne se lit, parce qu'il donne à réfléchir. Il propose aussi une étonnante mise en abyme, relatant les retours sur le premier volume, ravivant les mêmes questions sur le sens à donner à ce travail, le rapport au réel et l'inévitable écueil de la compréhension du propos de l'artiste par le public.
Il ne faut pas non plus négliger l'excellence graphique de Neaud, qui travaille la lumière avec brio, et alterne les styles, même si le réalisme quasiment photographique se taille la part du lion. Pourtant, il s'offre des incursions réussies dans la caricature ou l'humour qui rappelle que l'auteur est franchement doué et que son grand œuvre n'a pas usurpé sa réputation de classique des temps modernes.
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