M
aine, USA, début des années quatre-vingt. Le corps de M. Jones, un industriel ayant fait l’unanimité contre lui dans la région, est retrouvé sans vie dans sa barque. Les premières observations indiquent qu’il aurait été frappé par un modèle réduit d’avion. La méthode n’est pas courante, cela n’y change rien au résultat, il est mort. Dépêché par la police d’État, Jim Brady est en charge de l’enquête, au grand dam du shérif local, évidemment. La baie où la victime pêchait avant de trépasser est bordée de quatre demeures impressionnantes. Qui dit quatre maisons, dit quatre propriétaires pour autant de suspects. M. Kane, Ms. Curtin, M. McLoon et M. Goodrich vont logiquement avoir la visite des autorités. Qui est le coupable et quels sont les motifs de l’assassin ?
Sous ses airs de polar classique, Meurtre télécommandé cache en fait un whodunit surréaliste où la patte du créateur du Dope Rider et d’En attendant l’apocalypse est immédiatement reconnaissable. Mise en page éclatée pour ne pas dire déjantée, détournements et références picturales piochant aussi bien dans l’histoire de l’Art que la pop-culture et incessants jeux visuels dignes de Dali ou des dadaïstes, la lecture s’avère être une expérience sensorielle sans aucune mesure. Mais voilà, le fond du scénario reste profondément ancré dans le réalisme. Il y a eu un crime, la justice doit donc être rendue. Ce traditionnel canevas vient évidemment de l’autre nom ornant la couverture : Janwillem van de Wetering.
Auteur connu des amateurs de roman policier pour sa série Grijpstra et De Gier, Janwillem van de Wetering a d’abord longtemps bourlingué à travers la planète avant de s’installer aux USA. À la fin des années soixante-dix, cet écrivain fantasque et artiste touche-à-tout s’était lié d’amitié avec Paul Kirchner. Partageant les mêmes intérêts pour la contre-culture et les croyances extrême-orientales, l’idée d’une collaboration naquit assez rapidement entre les deux hommes, mais mit quelques années à se concrétiser. Mettant en commun leur force respective, Meurtre télécommandé fut achevé en 1983 et sortit finalement en 1986, avant de disparaître quasi-instantanément pour cause de mauvaises ventes.
Il faut dire que ce roman graphique avant l’heure s’inspirant autant de Raymond Chandler revisité par Hunter S. Thompson que de philosophies nourries de la paranoïa provoquée par trois décennies de suprématie du complexe militaro-industriel cher à Dwight D. Eisenhower n’avait que peu d’atout pour séduire l’Amérique de Ronald Reagan. Toujours est-il que quarante ans après, l’ouvrage reste totalement lisible et d’actualité, en dépit de sa démesure et de son étrangeté formelle. David Lynch, Charles Burns et Daniel Clowes sont passés par là et ont préparé les esprits à leur façon.
D’un côté, une intrigue des plus convenues, de l’autre, une exploration et une destruction totale des stéréotypes américains, le tout illustré avec une folie semblant sortir d’un album des Grateful Dead ou de Miles Davis (période Bitches Brew), Meurtre télécommandé est un ouvrage à part, surprenant et parfaitement maîtrisé de bout en bout.
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