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able post-moderne ou néo-conte cruel, Mathieu Sapin et Patrick Pion laissent de côté H.P. Lovecraft (La planète aux cauchemars) et proposent un étrange récit mélangeant curiosité, optimisme et fatalité. Où va le monde et, surtout, comment en est-il arrivé là, semblent se demander les auteurs.
Un homoncule, le Lombric du titre, erre perdu au milieu de la nature. Muet et complètement innocent, il marche, trébuche, roule et dévore tout ce qui lui tombe sous la main. De plus, il grossit et semble évoluer à chaque proie ingurgitée. Évidemment, il ne se rend pas compte des effets de ses actes et a vite fait de troubler les hôtes de ces bois. Conséquemment, un détective – pas si éloigné d’un Baron Têtard resté dans les mémoires (cf. plus bas) – est sur sa piste afin de le neutraliser. Lutte désespérée et inégale tant les forces en présence sont déséquilibrées ? Peut-être, mais il n’y a pas d’autre choix pour ramener la paix et l’équilibre dans la forêt.
En invoquant Kenneth Grahame dès la première page et en rendant hommage à l’immense Michel Plessix par l’occasion, Sapin et Pion placent leur histoire dans la continuité du Vent dans les saules et de ses sympathiques héros. Cependant, le propos a été modernisé et mis en parallèle avec l’état actuel de la biosphère. De ce fait, les péripéties de Taupe, Rat et de l’inénarrable Crapaud se sont transformées en une narration aux relents sombres et impitoyablement réalistes. Ce traitement de choc est sans pitié et, malgré sa violence intrinsèque est malheureusement totalement justifié. Visuellement, le dessinateur offre de très belles compositions naturalistes et, même si sa plume peine à approcher la délicatesse légendaire de Plessix, le résultat se montre puissant et évocateur. Simplement, comme pour le scénario, le ton a changé et le temps n’est plus à la poésie et ni au merveilleux.
Album cri du cœur sur fond de la perte de l’innocence, Lombric est une lecture implacable et pessimiste, paradoxalement pas dénuée d’un certain espoir. Le dernier avant le gouffre ?
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